Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/702

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ses membres. Tout à coup il a découvert en faisant le tour de son champ que ce champ n’était pas net, et qu’il était urgent, toute affaire cessante, de séparer l’ivraie d’avec le bon grain. Cette ivraie s’est trouvée plus difficile à arracher qu’il ne l’avait d’abord pensé ; il a fallu ajourner l’opération.

M. Buffet possède sans contredit plusieurs des qualités qui font l’homme d’état ; il fait figure, et dans ce temps-ci les figures sont rares et se détachent en vigueur sur les ombres qui les environnent. M. le vice-président du conseil sait conduire une campagne, choisir le terrain qui lui est favorable, y attirer l’ennemi, le forcer d’y livrer bataille. À la tribune, il a le raisonnement serré et nerveux, une incontestable puissance de dialectique, le talent de la provocation, de la réplique, des ripostes victorieuses. Il possède cet ascendant que donne à un orateur l’art de simplifier les questions, de les résumer dans une formule. De toute l’histoire de notre temps, M. Buffet n’a retenu que deux dates, le coup d’état de 1851 et la révolution de septembre, suivie de la commune. C’est au travers de ces deux événemens qu’il voit tous les autres, et il nous rappelle sans cesse que la politique de concessions fait le jeu du radicalisme, que le radicalisme conduit inévitablement à la dictature, que la France est un pays très conservateur, très sujet à s’alarmer, et que les libertés publiques n’ont quelque chance de s’établir que sous un gouvernement fort, qui inspire confiance et offre des garanties suffisantes à l’esprit de conservation. Il y a une part de vérité considérable dans cette doctrine ; mais l’histoire est un gros livre dont toutes les pages sont instructives. Pourquoi sauter certains feuillets et des chapitres tout entiers ? Est-il permis d’oublier les malheurs qu’ont attirés sur ce pays la raideur outrée de quelques-uns de ses hommes d’état et l’exagération dans la politique de résistance ? L’esprit dogmatique de M. Buffet s’est attaché exclusivement aux idées qui lui plaisent, à un certain nombre de demi-vérités qui lui cachent les autres et qu’il ne se lasse pas de répéter, sachant bien que de toutes les figures de rhétorique la répétition est la plus puissante. À force d’affirmer un fait, on finit par le créer, et à force de répéter à une nation qu’on la protège contre le péril social, on finit par l’épouvanter. Eh ! sans doute, la peur est l’ennemie mortelle de toutes les libertés publiques, mais rien n’est plus terrifiant que de s’entendre dire : — Ne craignez rien, nous veillons sur vous, nous employons nos jours et la moitié de nos nuits à vous sauver.

Le cabinet du 12 mars est né dans des circonstances particulières et très compliquées, et il ne pouvait être qu’un cabinet de transaction. M. Buffet aurait au besoin tous les talens, il n’aura jamais celui de transiger. Il est par essence un intransigeant, aussi bien dans les questions de personnes que dans les questions de conduite politique. Pour