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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/796

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surprise, qu’on n’examina pas de trop près l’intime originalité des découvertes. L’invention parut aussi nouvelle de tous points qu’elle parut heureuse. On admira ; et Ruysdael entra le même jour en France, un peu caché pour le moment dans la gloire de ces jeunes gens. Du même coup on apprit qu’il y avait des campagnes françaises, un art de paysage français et des musées avec d’anciens tableaux qui pouvaient nous enseigner quelque chose.

Deux des hommes dont je parle restèrent à peu près fidèles à leurs premières affections, ou, s’ils s’en écartèrent un moment, ce fut pour y revenir ensuite. Corot dès le premier jour se détacha d’eux. Le chemin qu’il a suivi, on le sait. Il cultiva l’Italie de bonne heure et en rapporta je ne sais quoi d’indélébile. Il fut plus lyrique, aussi champêtre, moins agreste. Comme eux, il aima les bois et les eaux, mais autrement. Il inventa un style ; il mit moins d’exactitude à voir les choses qu’il n’eut de finesse pour saisir ce qu’il devait en extraire et ce qui s’en dégage. De là, cette mythologie toute personnelle et ce paganisme si ingénieusement naturel qui ne fut, sous sa forme un peu vaporeuse, que la personnification de l’esprit même des choses. On ne peut pas être moins hollandais.

Quant à Rousseau, un artiste complexe, très dénigré, très vanté, en soi fort difficile à définir avec mesure, ce qu’on pourrait dire, de plus vrai, c’est qu’il représente en sa belle et exemplaire carrière, tous les efforts de l’esprit français pour créer en France un nouvel art hollandais : je veux dire un art aussi parfait tout en étant national, aussi précieux tout en étant plus divers, aussi dogmatique tout en étant plus moderne. A sa date et par son rang dans l’histoire de notre école, c’est un homme intermédiaire et de transition entre la Hollande et les peintres de l’avenir, s’il en vient. Il dérive des peintres hollandais et s’en écarte, il les admire et il les oublie. Dans le passé, il leur donne une main, de l’autre il fait signe à ce qui doit être. Il invente, il provoque, il appelle à lui tout un courant d’ardeurs, de bonnes volontés, de germes à naître. Dans la nature, il découvre mille choses nouvelles. Le répertoire de ses sensations est immense. Toutes les saisons, toutes les heures du jour, du soir et de l’aube, toutes les intempéries, depuis le givre jusqu’aux chaleurs caniculaires, toutes les altitudes depuis les grèves jusqu’aux collines, depuis les landes jusqu’au Mont-Blanc, les villages, les prés, les taillis, les futaies, la terre nue et aussi toutes les frondaisons dont elle est couverte, — il n’est rien qui ne l’ait tenté, arrêté, convaincu de son intérêt, persuadé de le peindre. On dirait que les peintres hollandais n’ont fait que tourner autour d’eux-mêmes, quand on les compare à l’ardent parcours de ce chercheur d’impressions nouvelles. Tous ensemble, ils auraient fait leur carrière avec un petit abrégé des cartons de Rousseau. A ce