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point de vue, il est absolument original, et par cela même il est bien de son temps. Une fois plongé dans cette étude du relatif, de l’accidentel et du vrai, on va jusqu’au bout. Non pas seul, mais pour la plus grande part, il contribua à créer une école qu’on pourrait appeler l’école des sensations.

Si j’étudiais un peu intimement notre école de paysage contemporaine au lieu d’en esquisser les quelques traits tout à fait caractéristiques, j’aurais d’autres noms à joindre aux noms qui précèdent. On verrait comme dans toutes les écoles, des contradictions, des contre-courans, des traditions académiques qui continuent à filtrer à travers le vaste mouvement qui nous porte au vrai naturel, des souvenirs de Poussin, des influences de Claude, l’esprit de synthèse poursuivant son travail opiniâtre au milieu des travaux si multiples de l’analyse et des observations naïves. On remarquerait aussi des personnalités saillantes, quoiqu’un peu sujettes, qui doublent les grandes sans leur trop ressembler, qui découvrent à côté sans avoir l’air de découvrir. Enfin je citerais des noms qui nous honorent infiniment, et je n’aurais garde d’oublier un peintre ingénieux, brillant, un esprit multiforme, qui a touché à mille choses, fantaisie, mythologie, paysage, qui a aimé la campagne et la peinture ancienne, Rembrandt, Watteau, beaucoup Corrège, passionnément les taillis de Fontainebleau et par-dessus tout peut-être les combinaisons d’une palette un peu chimérique ; — enfin celui de tous les peintres contemporains qui le premier devina Rousseau, le comprit, le fit comprendre, le proclama un maître et le sien, et mit au service de cette originalité inflexible son talent plus souple, son originalité mieux comprise, son influence acceptée, sa renommée faite. Ce que je désire montrer, et cela suffit ici, c’est que dès le premier jour l’impulsion donnée par l’école hollandaise et par Ruysdael, l’impulsion directe s’arrêta court ou dériva, et que deux hommes surtout contribuèrent à substituer l’étude exclusive de la nature à l’étude des maîtres du nord : Corot, sans nulle attache avec eux, Rousseau, avec un plus vif amour pour leurs œuvres, un souvenir plus exact de leurs méthodes, mais avec un impérieux désir de voir plus, de voir autrement, et d’exprimer tout ce qui leur avait échappé. Il en résulta deux faits conséquens et parallèles, des études plus subtiles, sinon mieux faites, des procédés plus compliqués sinon plus savans.

Ce que Jean-Jacques Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, Sénancour, nos premiers maîtres paysagistes en littérature, observaient d’un coup d’œil d’ensemble, exprimaient en formules sommaires, ne devait plus être, quarante ou cinquante ans plus tard, qu’un abrégé bien incomplet et qu’un aperçu bien limité le jour où la littérature se fit purement descriptive. De