Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/802

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est le seul coin de la peinture française actuelle, où l’on soupçonne encore leur influence. Je ne sais pas quel est celui des peintres hollandais qui prévaut dans le laborieux atelier que je vous signale. Et je ne suis pas bien certain que Van der Meer de Delft n’y soit pas pour le moment plus consulté et plus écouté que Ruysdael. On le dirait à un certain ; dédain ; pour le dessin, pour les constructions délicates et difficiles, pour le soin du rendu que le maître d’Amsterdam n’aurait ni conseillé ni approuvé. Toujours est-il qu’il y a là, le souvenir vivant et présent d’un art partout ailleurs oublié.

Cette trace ardente et forte est de bon augure. Il n’est pas d’esprit avisé qui ne sente qu’elle vient en ligne assez directe du pays par excellence où l’on savait peindre, et qu’en la suivant avec persistance le paysage moderne aurait quelque chance de retrouver ses voies. Je ne serais pas surpris que la Hollande nous rendît encore un service, et qu’après nous avoir ramenés de la littérature à la nature, un jour ou l’autre, après de longs circuits, elle nous ramenât de la nature à la peinture. C’est à cela qu’il faut revenir tôt ou tard. Notre école sait beaucoup, elle s’épuise à vagabonder ; son fonds d’études est considérable ; il est même si riche qu’elle s’y complaît, s’y oublie, et qu’elle dépense à recueillir des documens des forces qu’elle emploierait mieux à produire et à mettre en œuvre. Il y a temps pour tout, et le jour où peintres et gens de goût, où tous comprendront plus justement que les plus belles études du monde ne valent pas un bon tableau, l’esprit public aura fait encore une fois un retour sur lui-même, ce qui est le plus sûr moyen de faire un progrès.


V

Je serais fort tenté de me taire sur la Leçon d’anatomie. C’est un tableau qu’il faudrait trouver très beau, parfaitement original, presque accompli, sous peine de commettre aux yeux de beaucoup d’admirateurs sincères une erreur de goût, de convenance ou de bon sens. Il m’a laissé très froid, j’ai le regret d’en faire l’aveu. Et cela étant dit, il est nécessaire que je m’explique ou, si l’on veut, que je me justifie.

Historiquement la Leçon d’anatomie est d’un haut intérêt, car on sait qu’elle dérive très évidemment de tableaux analogues perdus ou conservés, et qu’elle témoigne ainsi de la façon dont un homme de grande destinée s’appropriait les tentatives de ses devanciers. À ce titre, c’est un exemple non moins célèbre que bien d’autres du droit qu’on a de prendre son bien où on le trouve, quand on est Shakspeare, Rotrou, Corneille, Calderon, Molière ou Rembrandt. Notez que dans cette liste des inventeurs pour qui le