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LES MEMOIRES
DE
LORD SHELBURNE

Life of William, earl of Shelburne, afterwards first marquess of Lansdowne, with extracts from his Papers and correspondence, by lord Edward Fitzmaurice, vol. Ier, 1737-1766, London 1875 ; Macmillan.

Montaigne dit quelque part que « pour veoir un homme de la commune façon, à peine qu’un artisan lève les yeux de sa besogne, là où, pour veoir un personnage grand et signalé arriver en une ville, les ouvroirs et les boutiques s’abandonnent. » Je ne sais si de nos jours le peuple a conservé la même ardeur à courir à ces spectacles, car il pourrait répéter avec la « vieille au chef ridé » du poète : « Un roi ! sous l’empereur, j’en ai tant vu de rois ! » mais, lorsqu’un éditeur intelligent ramène sur la scène « un de ces hommes dont la vie et les opinions peuvent servir de patron, » le public lettré s’empresse de faire cortège à ce personnage ; on se met aux portes pour le regarder, pour observer sa physionomie, pour prendre sa mesure, et, s’il daigne nous raconter sa vie, nous communiquer les observations qu’il a recueillies, les jugemens qu’il a portés sur les hommes de son temps, on se serre autour de lui, on ne se lasse pas de l’écouter, on lui tient fidèle compagnie. Faut-il s’inquiéter de cette disposition persistante des esprits et se persuader avec des moralistes chagrins que cette curiosité indiscrète est un signe d’impuissance, que, n’ayant plus l’énergie de « faire grand » nous nous ingénions, comme les vieillards, à ressaisir dans le passé un reste de vie qui nous échappe ? N’est-ce pas après tout le plus noble des plaisirs, la distraction la plus efficace, pour une race éprouvée par le sort comme la nôtre, que de contempler l’homme