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avec cette inscription : châtiment de la canaille tsigane, hommes et femmes, qu’à leur approche les milices fussent convoquées par la cloche d’alarme ; mais les tsiganes revenaient toujours, enhardis par la pour que faisait aux autorités prussiennes leur réputation de sorciers. Frédéric II, qui avait d’abord renouvelé contre eux les menaces de son père, finit par se demander s’il n’y avait rien à faire de ces vagabonds. Il s’en servit d’abord à l’armée comme espions ; il les fit ramasseurs de chiffons pour ses fabriques de papier, et il finit par en établir dans différens endroits quelques colonies dont on reconnaît aujourd’hui encore les descendans à leurs traits, à leurs mœurs de saltimbanques et de musiciens ambulans, à l’habitude de voler, qui a persisté surtout chez les femmes, victimes d’un atavisme séculaire.

C’est donc une mosaïque, patiemment et savamment composée, que la population prussienne au temps de Frédéric ; les pièces en sont encore distinctes, bien que le temps en ait terni et quelque peu confondu les couleurs. Pour ne parler que des principaux groupes d’immigrans, on reconnaît encore dans la Prusse orientale, à de certaines particularités du langage et du vêtement, au souvenir qu’ils ont gardé de leurs ancêtres, aux chansons et aux contes du foyer, les descendans des Salzbourgeois. Dans la Prusse occidentale, on retrouve d’un coup d’œil les Souabes qu’y a fait venir Frédéric II ; leurs cheveux noirs et leurs yeux de couleur foncée, leur taille svelte font contraste avec les têtes blondes, les yeux bleus, l’épaisseur des gens du nord. Ils ont plus que ceux-ci l’esprit d’initiative et l’entrain au travail. Ces Souabes sont arrivés presque tous pauvres dans leur nouvelle patrie, attirés par les édits de Frédéric, que des agens leur avaient lus sous le tilleul du village ou dans les cabarets. Bien rares furent ceux qui partirent alors, conduisant des chariots où ils avaient entassé tout ce qui se pouvait emporter, depuis les ustensiles de ménage jusqu’aux paquets de nippes inutiles ; bien rares même ceux qui poussaient devant eux quelque maigre troupeau de porcs ou d’oies : la plupart portaient leur fortune au bout de leur bâton. Presque tous étaient des manouvriers ; mais quand, arrivés en Prusse, on leur donna des terres, ils ne firent point de difficultés pour se transformer en laboureurs. Tel venu pour être maçon alla, ceint du tablier de sa corporation, ensemencer sa terre. On vit derrière la charrue de jeunes femmes qui prenaient vaillamment la place de leurs maris morts en route. Apres à la besogne, économes jusqu’à l’avarice, ils ont quintuplé la valeur du sol. Leurs descendans ont gardé quelque chose de leur humeur ; ils sont plaisans avec quelque dureté, aiment à raillerie voisin au risque de l’irriter, et, comme jadis dans l’Allemagne du Sud, ils échangent de village à village de grosses plaisanteries