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adoration instinctive de la nature qui donnent la vie à tout ce qui sort de leurs mains. Toutes ces constructions coûtent fort cher, et l’on s’étonne de les voir s’élever au milieu d’une population pauvre. Les offrandes des fidèles et les quêtes à domicile qui sont fréquemment pratiquées par les prêtres ne suffiraient pas pour y subvenir; les plus beaux sanctuaires ont été bâtis par les daïmio, les shogoun ou les mikado. Ceux qui sont entourés de cimetières (et ils sont innombrables) sont entretenus par les familles des morts qu’ils protègent; mais l’incendie fait des ravages constans dans ces charpentes de sapin. Que de terrains déserts là où s’élevait jadis un temple célèbre! Autrefois on les reconstruisait, et ceux de Kioto, par exemple, ont presque tous eu leur deuxième ou troisième fondateur à des dates connues; à l’heure qu’il est, on ne songe plus à les rebâtir et leur place, quand elle ne reste pas vide, est occupée par des usines, des casernes et des magasins. Si l’on tient compte en outre de la fragilité des matériaux, qui réclament un perpétuel entretien et de l’appauvrissement du clergé, qui n’y peut suffire, on peut dès à présent entrevoir l’époque où le Japon ne conservera plus un seul vestige de ses monumens religieux.

Nous avons dit un mot des offices qui se célèbrent dans quelques-uns de ces temples. Le clergé seul y prend part ; lui seul approche des autels. On voit bien de temps en temps arriver une femme ou un jeune homme qui frappe dans ses mains, s’incline légèrement, frappe de nouveau, jette une petite pièce de cuivre dans un vaste tronc et s’en va; mais il n’y a point de prières en commun auxquelles les fidèles se donnent rendez-vous. La courte oraison du visiteur consiste à demander au dieu de l’endroit telle faveur spéciale dont il dispose, ou le plus souvent à se recommander à lui d’une manière générale. Quelquefois on vient faire un vœu, ou déposer en ex-voto un petit tableau, une mèche de cheveux; il y a un temple près d’Yeddo où de tous ces cheveux on a fait un gros câble long de plusieurs mètres; mais la prière en tant qu’hommage rendu à un être supérieur, la méditation recueillie de l’âme devant l’infini, l’élan de la créature vers son créateur, n’ont pas leur place dans les habitudes des laïques les plus dévots. Ce sont les biens de la terre qu’on vient demander aux dieux et les biens parfois les plus profanes. En beaucoup d’endroits les prêtres se chargent eux-mêmes de distribuer des prières tout imprimées, que les postulans n’ont plus qu’à mâchonner pour les lancer sous forme de boulettes à la figure de l’idole, séparée d’eux par une balustrade, et quelquefois couverte en entier de ces trophées d’un nouveau genre. En résumé, le culte intérieur et individuel n’existe pas.

Le véritable culte consiste dans les fêtes auxquelles, à des jours marqués par le calendrier, on se livre en l’honneur de chaque