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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/686

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de laquelle tournent les personnages sans que la passion parvienne à amener chez aucun une crise assez violente pour l’entamer ou en créer une nouvelle. Une fois l’exposition faite, sauf l’apparition d’Olivier Merson au second acte, à aucun moment le drame ne marche, et nous ne sommes pas plus avancés après la scène de récriminations entre Olivier Merson et sa femme que nous ne l’étions après la scène d’explications entre Caverlet et le jeune fils de sa maîtresse.

Le dénoûment remédie heureusement à l’impuissance des personnages et tranche la difficulté qu’ils ne peuvent résoudre. Il est tout à fait imprévu, ce dénoûment, très amusant et très original. Pour tirer ses personnages d’embarras, Emile Augier a trouvé un moyen qui fait autant d’honneur à son vigoureux bon sens d’honnête Gaulois qu’à son talent de dramaturge. Dans un cas pareil, Alexandre Dumas n’aurait pas manqué d’envoyer son Olivier Merson dans un monde plus parfait au moyen d’un bon coup d’épée ; tel autre dramaturge n’aurait pas hésité à sacrifier la mère ou à faire intervenir quelque machine providentielle ; Emile Augier, qui sait mieux comment on traite avec les coquins, a trouvé plus simple de faire partager à Merson le million dont sa femme vient d’hériter. Quoi, tuer une honnête personne pour ce drôle ! quoi, des coups d’épée à ce vaurien, quand il est si facile de s’épargner ce meurtre innocent ! Eh parbleu ! garnissez ses poches, et soyez bien sûr qu’il vous tiendra quitte de ses anciens droits de père et de mari. Pas de bruit et un demi-million, à ce prix M. Merson se fera naturaliser Suisse, le divorce sera bel et bien prononcé, Mme Caverlet épousera son amant, et les enfans auront le droit de ne pas connaître l’intéressant auteur de leurs jours. Que dites-vous de ce petit dénoûment ? Un Mérimée et un Fielding y auraient à coup sûr applaudi, et, par ce temps d’écœurante sensiblerie où il s’est dépensé à propos des coquins tant d’éloquence complaisante ou indignée qui aurait pu être mieux employée, il m’a tout simplement ravi.

De Madame Caverlet à l’Étrangère, la transition est facile, car, par une coïncidence assez singulière, c’est ce même type du vaurien à la française que le nouveau drame de M. Dumas met en scène dans le duc de Septmonts. Que disions-nous donc tout à l’heure que le théâtre contemporain ne nous présentait rien qu’il ne nous eût déjà montré depuis des années ? Mais si, il nous présente quelque chose de très nouveau, le mari coupable et sacrifié sans pitié pour cause d’indignité. Remarquez-vous à ce propos comme le théâtre actuel est un singulier justicier et un étrange redresseur de torts ? Il établit des catégories de coupables, il les prend par séries les unes après les autres, isolément, et pendant des saisons entières s’acharne à faire tomber sa sévérité sur chacune exclusivement. C’est comme une épidémie de justice atroce qui sévit sur telle ou telle fraction de notre pauvre société ; à cette fraction sont tous