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qu’on leur permît de s’y insinuer et d’en faire partie. Le christianisme est plus hardi et plus exigeant ; il se tient à l’écart, il veut être accepté sous son nom. Il réclame une place en dehors de la religion nationale et sur le même rang qu’elle. En réalité, c’est une révolution complète qu’il prépare. Il exige de l’état qu’il se détache désormais des religions, il sépare ce que toute l’antiquité regardait comme indissoluble, il demande que les citoyens d’un même pays puissent pratique, des cultes différens, et que chacun honore ses dieux en liberté. C’est la prétention qu’expriment dès le premier jour les apologistes. Quand ils soutiennent qu’on les persécute injustement, quand ils offrent de prouver qu’ils ne sont ni homicides, ni factieux, ni rebelles, et qu’ils en concluent qu’il ne faut pas les traiter comme des criminels, que veulent-ils dire sinon qu’on ne doit poursuivre que ceux qui se rendent coupables de quelque crime de droit commun, et qu’il n’est pas permis de punir quelqu’un pour ses croyances ? Ce n’est encore qu’une réclamation timide, mais ils parlent bientôt plus clairement. Ce que Justin et Apollodore se contentent de laisser entendre, Tertullien l’exprime avec une admirable fermeté. « Le droit commun, dit-il, la loi naturelle, veulent que chacun adore le dieu auquel il croit. Il n’appartient pas à un culte de faire violence à un autre. Une religion doit être embrassée par conviction et non par force, car les offrandes à la divinité exigent le consentement du cœur… Prenez garde que ce ne soit une sorte d’irréligion d’empêcher quelqu’un de suivre sa religion et de ne pas lui permettre de choisir son dieu. » L’église persista dans ces principes tant qu’elle fut persécutée. Un siècle après Tertullien, Lactance parlait encore comme lui. « Ce n’est pas en tuant les ennemis de sa foi, disait-il, qu’on la défend, c’est en mourant pour elle. Si vous croyez servir sa cause quand vous versez le sang en son nom, vous vous trompez ; vous ne faites que la déshonorer. Il n’y a rien qui doive être plus librement embrassé que la religion. » Ce qui est plus rare, c’est qu’après la victoire l’église ne désavoua pas les maximes qu’elle avait professées pendant le combat. En prenant possession de l’empire, elle s’empressa d’offrir aux autres cette tolérance qu’elle avait vainement réclamée pour elle. Constantin disait en tête du célèbre édit de Milan : « Nous avons reconnu depuis longtemps que la religion doit être libre et qu’il faut laisser au choix de chacun de servir Dieu de la manière qu’il le juge à propos. » Ces sentimens changèrent bientôt, et ce fut un grand malheur ; mais, quoi qu’il soit arrivé dans la suite, il est juste de ne pas oublier que ce sont les apologistes qui ont proclamé avant tous les autres le grand principe de la tolérance, et que c’est un empereur chrétien qui l’a le premier inscrit dans la loi.

Il resterait encore bien des questions à traiter pour achever ce qui