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clairvoyance et de décision, le gouvernement a laissé échapper une occasion de faire acte d’initiative et d’ascendant. Voilà ce qu’il y a de plus clair ! Les uns et les autres peuvent profiter des vacances pour y songer et pour ne point recommencer dans un mois.

Entre le mouvement des faits et des incidens de tous les jours qui se déroule sans cesse, qui souvent n’a pas conscience de lui-même, et le mouvement supérieur des idées, n’y a-t-il point un lien intime ? « L’esprit mène le monde, mais le monde n’en sait rien, » dit M. Caro dans un livre récent dont il a publié les chapitres ici même, où il étudie avec autant d’élévation que de finesse les problèmes de morale sociale. Convenez qu’il y a bien des gens, même des politiques, qui ont toute sorte de raisons de ne pas savoir qu’ils sont menés par l’esprit. Toujours est-il que le monde ne marche point en effet de lui-même ; il a ses moteurs mystérieux dans la région invisible des idées, et les philosophies ne sont point étrangères à la direction des événemens, des révolutions ; elles en déterminent le caractère, elles en sont la force ou la faiblesse. C’est l’intérêt du livre de M. Caro de fixer d’un trait délicat et ferme le point où les idées touchent à la marche des faits contemporains, de décrire l’invasion de toutes ces doctrines plus ou moins nouvelles de l’évolution, du progrès scientifique, du positivisme dans la politique. Quelle sera l’influence définitive de tous ces systèmes ? C’est encore un problème. Une chose est certaine, ce n’est pas avec des procédés prétendus scientifiques, avec des doctrines à demi matérialistes, que peuvent se relever les peuples qui ont eu à souffrir, qui ont à se refaire une vitalité intérieure : il leur faut le cordial de croyances plus élevées, d’un sentiment plus profond, d’une spiritualité plus énergique, et c’est peut-être assez mal servir la république elle-même que de l’identifier, comme le font certains républicains, avec des philosophies qui ne laissent pas à l’âme humaine ses tout-puissans ressorts avec la liberté. Le livre de M. Caro est la démonstration éloquente de la supériorité des grandes doctrines morales et spiritualistes. L’auteur défend l’âme et l’intelligence en philosophe politique ou en politique philosophe accoutumé à manier ces redoutables problèmes de la civilisation contemporaine.

Les problèmes, ils ne sont pas seulement aujourd’hui dans le monde intérieur, ils sont encore, et sous une forme plus saisissable, dans ce monde extérieur qui s’agite de toutes parts. Les affaires d’Orient ont à coup sûr, elles aussi, leur philosophie ; pour le moment, elles se réduisent à un certain nombre de faits qui ne laissent pas de prendre une gravité redoutable et croissante. Évidemment l’intervention des trois empires du nord, à laquelle se sont ralliées les-autres puissances, n’a pas produit jusqu’ici des effets bien sensibles. Le programme européen destiné, dans la pensée du comte Andrassy, à devenir un gage de paix entre