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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/99

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plainte unanime, une protestation véhémente : jamais les Grecs ne se soumettront volontairement à ces décisions de la diplomatie, ils ne les subiront que contraints et forcés. L’irritation publique est au comble, il y a lieu de craindre une insurrection. Puis viennent les griefs relatifs au choix du souverain : pourquoi la Grèce n’a-t-elle pas été consultée ? pourquoi a-t-on choisi un prince de Saxe-Cobourg ? Là-dessus maintes réflexions fâcheuses, maintes paroles hostiles à sa personne. Le sénat, il est vrai, ainsi que le président, tient un autre langage, mais tout en se félicitant d’apprendre que le prince est élu, que le prince accepte cette mission, ils disent tous qu’il trouvera en arrivant des « difficultés insurmontables. » D’abord il est impossible de lui promettre un accueil sympathique, si, avant de se présenter aux Grecs, il n’a pas embrassé leur religion ; puis, que de choses irréalisables dans le traité ! La délimitation des frontières est conçue de la façon la plus funeste, le partage du sol entre les Turcs et les Grecs ne se fera pas sans de sanglantes collisions ; on ne laissera pas telle province, telle ville, tel village, affranchis par l’héroïsme de leurs enfans, retomber sous le joug turc ; la guerre recommencera. Enfin la Grèce en est réduite à son dernier écu : la pauvreté, la misère, les privations, le désespoir, voilà ce que le prince trouvera en arrivant.

Le comte Capodistrias, en grand tacticien, avait choisi le vrai moment pour porter au prince ce terrible coup. C’est ce qu’une certaine école, à la fois barbare et pédantesque, appelle le moment psychologique. Le prince Léopold communiqua ces pièces aux membres de la conférence et leur demanda s’il pouvait en conscience accepter de leurs mains la couronne de Grèce, ses conditions étant rejetées. De nouvelles discussions s’engagèrent. On essaya en vain de calmer les scrupules du prince, on lui montra en vain les exagérations de ce tableau, les erreurs involontaires ou intéressées du président. « Cette situation, dont on lui faisait un épouvantail, était le résultat de l’anarchie ; avec un gouvernement héréditaire, tout changerait de face. Allait-il se dérober à la confiance de l’Europe et replonger la Grèce dans le chaos ? » Tout cela fut inutile, le coup était porté. La conférence refusant de souscrire aux conditions du prince, le prince refusa la couronne de Grèce. Sa lettre, datée du 21 mai 1830, est très noble, très digne ; le prince insiste particulièrement sur ce point que les conditions du nouveau royaume, telles que la conférence les maintient, sont odieuses à la Grèce, que les Grecs y résisteront, qu’on ne les y soumettra que par la force, et qu’il lui est impossible de s’imposer à un peuple comme l’instrument d’une politique oppressive.

Ces sentimens font honneur au caractère libéral et profondément