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indispensable d’assister au parlement où tout cela serait discuté. La perspective n’avait rien de désagréable, et le spectacle valait bien un galop d’une trentaine de lieues.

Catriel arriva suivi d’un état-major hétéroclite, dans les rangs duquel on pouvait faire une étude comparée de toutes les nuances de la laideur indienne. À cheval, toute ce monde-là faisait encore figure. Ils maniaient avec aisance de belles bêtes aux harnais enrichis d’argent. À pied, ce furent d’autres hommes. Leurs jambes arquées, leurs épaules rondes, leur démarche gauche, encore entravée par les éperons aux vastes molettes qu’ils traînaient sur le sol avec un bruit de ferraille, tout en eux était disgracieux et vulgaire. Catriel mit pied à terre avec difficulté, et, lourdement appuyé sur un de ses parents, se dirigea en boitant vers le lieu de la conférence. Il avait depuis peu, assurait-il, reçu une ruade au genou droit, qu’il avait été obligé, pour pouvoir supporter ce court trajet, de se faire cribler de piqûres avec de longues aiguilles. C’est une ressource héroïque de la chirurgie indienne pour diminuer l’inflammation d’un membre contusionné. On l’applique indistinctement aux hommes et aux chevaux. Le cacique et plusieurs de ses capitanejos étaient vêtus du sévère et pittoresque costume des gens de campagne aisés : bottes molles, éperons d’argent, culotte noire bouffante et le poncho flottant sur l’épaule ; d’autres étaient couverts de loques repoussantes et tout uniment chaussés de la botte de potro. Cette chaussure s’obtient en enlevant sans y faire d’entaille, du jarret au paturon, la peau de la jambe d’un cheval fraîchement abattu. L’Indien introduit ensuite sa propre jambe dans le cuir encore chaud, qui se moule sur la forme humaine, et constitue une botte sans coutures laissant passer seulement les doigts du pied par son orifice inférieur. Elle ne se retire que lorsqu’elle tombe en lambeaux. La botte de potro devient rare et passe de mode même chez les Indiens, qui, nés à cheval et ayant le pied petit, ont la coquetterie de le chausser finement. Tout ce monde prit place indistinctement, sans rang de préséance, sur les chaises rangées autour de la pièce. Tous les capitanejos sont égaux. Le cacique seul occupait une place d’honneur et un fauteuil de paille à la gauche du ministre, qui avait le colonel Levalle à sa droite. L’interprète se tenait debout en face d’eux, car les Indiens de Catriel, qui parlent tous couramment l’espagnol et s’en servent volontiers dans la vie ordinaire, ne l’emploient jamais dans les relations officielles : ils tiennent à affirmer leur nationalité par l’usage de leur langue. Un petit groupe d’officiers et de curieux était debout dans un coin, et par la porte de la rue, laissée ouverte avec bonhomie, quelques Indiens et quelques désœuvrés de l’Azul s’efforçaient d’attraper des bribes de la discussion. Cette discussion fut longue et tenace. On