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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/157

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Si Kiel était le seul port militaire de la Prusse, l’un des premiers mouvemens d’une escadre ennemie serait de fermer les détroits afin d’immobiliser les bâtimens prussiens dans l’impasse de la Baltique et d’assurer ainsi la liberté de l’Océan pendant une guerre. Ce but est plus difficile à atteindre, si une partie de la flotte prussienne se trouve placée au-delà des détroits, s’il lui suffit de franchir les passes d’un port ouvert sur une vaste étendue de mer libre qui permet à Berlin de rayonner dans toutes les parties du monde, d’y défendre ses intérêts, et, selon l’occasion, d’y menacer ceux des autres.

Il y avait, sur la Mer du Nord, un lieu favorable à la création d’un tel port ; c’était le duché d’Oldenbourg, dont le territoire commence au Weser et finit à la Hollande. Comme il était difficile, immédiatement après ce qu’on a appelé « l’exécution fédérale » contre le Danemark, et qui n’était qu’une guerre au profit de la Prusse, de prévoir au juste le moment où l’Oldenbourg ferait partie de l’empire, la Prusse étant d’ailleurs pressée de construire son port, elle acheta en 1853 au grand-duc, au prix de 1,875,000 francs, un terrain de 310 hectares à l’embouchure de la Jahde, rivière qui se jette dans la Mer du Nord, à l’ouest du Weser. La Jahde se décharge au fond d’une baie dont la profondeur et l’étendue sont loin de pouvoir être comparées au fiord de Kiel, mais où des travaux, d’ailleurs considérables, pouvaient permettre de fonder un port militaire. Le gouvernement berlinois avait choisi cet emplacement. Singulière coïncidence, ce choix fut fait d’après l’avis de Napoléon Ier, qui avait désigné comme propre à la construction d’un grand port de guerre la baie de Jahde, à l’époque où le département des Bouches-du-Weser était compris dans les limites de l’empire français.

Les travaux furent entrepris sans retard. L’œuvre était d’un accomplissement difficile. Les terres, en cet endroit, sont plates, stériles et composées d’une argile sablonneuse ; elles se délaient et s’effondrent par l’action de la mer. Pour donner au rivage la solidité nécessaire, il fallait l’étayer par des digues. Ce premier travail, souvent interrompu par les inondations, fut pénible, long et coûteux ; mais le génie tenace de la nation triompha de la faiblesse de la terre et des résistances de la mer. Les ingénieurs passèrent, sans perdre de temps, à la construction du port même. La marée s’y faisant vivement sentir, ils y disposèrent des écluses de grandes dimensions pour retenir l’eau dans les bassins. À la suite d’un avant-port où plongent deux jetées en granit que terminent deux môles, les navires venant de la mer traversent une première écluse qui s’ouvre dans le port extérieur. Une seconde écluse les introduit dans un canal, et ce canal conduit au port. C’est un bassin long de