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cuirasse. En fait, une partie de l’artillerie anglaise est déjà construite pour se charger par la bouche, et par là nos voisins protestent sans crainte contre l’usage adopté dans la plupart des armées. Il s’agit de voir s’ils étendront ce système à la grosse artillerie navale. La perfection de leur fabrication ne peut être égalée en ce moment par aucune autre puissance, et le prix de leurs canons est généralement trop élevé pour des nations moins riches. Ces considérations ne peuvent être indifférentes. Néanmoins, si le système du chargement par la bouche était définitivement reconnu le meilleur, si le fer forgé donnait une supériorité évidente, on ne manquerait pas de l’adopter partout. Dans ce cas, l’artillerie de la marine prussienne serait à refaire.

Donc les Prussiens ont eu le tort de trop se presser. La marine est une œuvre de temps et de patience. Pour avoir voulu jouir trop vite de celle qu’elle vient de créer, la Prusse ne s’est peut-être donné qu’une arme de luxe très coûteuse, mais très inutile au cas où les idées qui président aujourd’hui à la construction et à l’armement des bâtimens de mer viendraient à être répudiées. Dans ce cas, elle aurait à recommencer sur de nouveaux frais son entreprise. Ce serait la peine d’une précipitation qui n’est pourtant pas dans son caractère lorsqu’elle n’est pas surexcitée par des arrière-pensées d’agrandissement et de conquête. S’il s’agissait d’engager la nouvelle marine dans une lutte immédiate, ce serait tout différent ; heureusement il n’y a pas sans doute apparence de conflit à l’horizon.


III

En admettant que le blindage et l’artillerie pesante à culasse soient le dernier mot de la science, que le matériel de la flotte improvisée ait toutes les conditions possibles de vitalité et de durée, il y aurait encore entre la Prusse et la puissance maritime qui fait l’objet de son ambition un obstacle, c’est l’insuffisance du nombre de ses marins. Ici la volonté, même de fer, d’un gouvernement quel qu’il soit, reste impuissante. Il peut décréter des institutions maritimes, le temps seul peut les ratifier. Colbert a posé les bases de notre inscription maritime. Une longue pratique a seule pu la faire passer dans les mœurs. Un oiseau pris en liberté dépérit en captivité, mais sa couvée prospère dans la prison où elle est née. Tel est le sort des institutions qui restreignent la liberté individuelle au profit de la liberté de tous. Elles disparaissent bien rapidement quand elles n’ont pas vaincu les premières résistances et que le temps ne les a pas cimentées. L’inscription maritime est acceptée en France, et la sollicitude de l’état compense les devoirs qu’elle impose. Nos marins ont appris à remplir ces devoirs avec une résignation