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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/326

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jusqu’alors exercée sur la toilette. Metz, Lyon, Bordeaux, donnèrent le ton. Les vieux types provinciaux, qui s’étaient conservés parmi le peuple des villes et les paysans, reçurent des lettres de bourgeoisie et de noblesse ; mais la vanité est une reine qu’on ne détrône jamais. Du moment où Henri IV eut pacifié le royaume, elle retrouva tous ses sujets et reprit son empire. Sauf quelques modifications de détail, les types restèrent les mêmes que sous le précédent règne, seulement on chercha pour les couleurs des nuances nouvelles, et d’Aubigné n’en compte pas moins de soixante-quatre qui furent désignées sous les noms les plus bizarres, tels que le Singe mourant, le Ventre de nonnain, les sept Péchés mortels, le Trépassé revenu, l’Espagnol malade, par allusion aux symptômes de décadence qui déjà se manifestaient dans la monarchie de Philippe II. Les fraises reparurent et prirent de telles proportions que, pour éviter aux dames le désagrément de les tacher ou de les friper en mangeant, on inventa des cuillers à longs manches. Les queues des robes se raccourcirent notablement, mais elles étaient encore assez longues pour scandaliser les gens sensés. « Quand les dames les traynoient par les grandes salles et églises, dit le sieur de la Nauche, elles assembloyent sous icelles force stercores de chiens, poussières et aultre saletez. Quand elles étoient au bal, on leur attachoit cette inutile queue sur le cropion avec un crochet de fer ou un gros bouton d’os ou d’ivoire, tellement qu’on en a veu qui ont été suffoqueez. »

Pendant cent ans, la France avait partagé l’empire de la mode avec l’Italie et l’Espagne ; elle le reprit pour elle seule sous Louis XIII, non pas dans les premières années du règne, mais pendant le ministère de Richelieu, qui lui rendit sa prépondérance en Europe. Le costume fut marqué d’un cachet d’élégance et de grandeur, qui ne fit que s’affaiblir plus tard[1]. Pour la première fois depuis des siècles, le buste chez les femmes se montra sans être déformé par la robe. Les dames de l’ancien temps gardaient le masque, mais les jeunes portaient une voilette en crêpe noir pour paraître plus blanches et « friponner à travers ; » toutes s’inondaient d’essences et de quintessences, et mettaient du fard, du rouge et des mouches taillées en forme de lunes, d’étoiles, de fleurs ou d’animaux. Les gants parfumés, les bas de soie, rouges, verts et bleus de ciel, les souliers en maroquin de diverses couleurs complétaient la toilette. Les hommes portaient le manteau court drapé autour du buste, le pourpoint tailladé, garni de longues basques découpées, qui s’attachaient au pourpoint par des aiguillettes, de courtes bottes à éperons avec un large retroussis, un baudrier qui soutenait la rapière, le chapeau

  1. On trouvera à la page 468 du livre de M. Quicherat la représentation d’une dame en grande toilette vers 1635 ; c’est un modèle qu’on peut recommander aux personnes qui ont le goût du simple et du beau.