Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/404

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

publiées, où l’on a marqué à côté de l’idéal le possible[1], et déjà l’on entrevoit dans un avenir plus rapproché la renaissance de l’Université de Paris ! Le choix de la capitale a des inconvéniens, mais il s’impose : c’est là qu’il faut commencer l’expérience, parce que tous les élémens y sont réunis, et qu’il importe qu’elle réussisse le plus tôt possible. Nos malheurs ont créé de grands devoirs aux générations nouvelles : il faut les y préparer. Or quelle préparation sérieuse s’offre aujourd’hui au jeune Français qui sort du collège à dix-huit ans ? Il a subi l’épreuve d’un baccalauréat encyclopédique, et, fort de son diplôme, qui cache souvent la plus triste misère intellectuelle, il n’a plus d’autre souci que d’apprendre un métier. Après quelques années d’études de droit ou de médecine, il entre dans la vie, à l’étourdie, « sachant un peu de tout, rien de l’ensemble, à la française,  » comme dit Montaigne. C’est assez peut-être dans les temps calmes et prospères, mais non point en ceux où nous vivons.

Supposez que des universités ont été organisées à Paris et bientôt après dans trois ou quatre centres bien choisis, qu’elles sont pourvues d’argent et des instrumens de toute sorte nécessaires au travail, que toutes les facultés y ont des élèves, que l’enseignement, dépouillé de son apparat oratoire, y est devenu « la communication de l’intime : » de merveilleux effets ne se feront pas attendre. La science française reprendra son rang dans le monde, car, si elle l’a perdu pour un moment, c’est que nos savans sont à l’avance vaincus par l’armement supérieur de leurs rivaux. C’est en France qu’ont été faites la plupart des grandes découvertes scientifiques : mais, dans les voies nouvelles ouvertes par nous, les Allemands ont marché plus avant que nous. Cuvier a créé l’anatomie comparée, mais nous avons pour toute la France une chaire d’anatomie comparée : il n’est pas une seule université en Allemagne qui n’ait la sienne. La philologie renouvelle de nos jours l’histoire de l’humanité ; l’étude des langues orientales, par exemple, a fait faire de grands progrès à la science des religions ; c’est en France qu’elle a été inaugurée : elle est très florissante en Allemagne, et serait à peu près abandonnée chez nous, n’étaient le Collège de France et l’École des hautes études. Nous laissons même les Allemands envahir notre domaine national et s’y installer en maîtres, ils publient avant nous les monumens de notre vieille langue ; c’est hier seulement qu’a été fondée la Société des anciens textes français pour mettre un terme à cette humiliation. On pourrait poursuivre ce triste parallèle ; mais c’en est assez pour faire regretter que, dans l’œuvre de réorganisation de

  1. Voyez De la Possibilité d’une réforme de l’enseignement supérieur, par M. Gabriel Monod, directeur-adjoint à l’École des hautes études. Paris, Leroux.