Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/529

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préférons le premier venu de ces personnages à tous les panoramas du monde.

Ceux qui aiment l’Orient ou qui rêvent de le voir s’arrêtent volontiers devant les charmantes toiles de M. Pasini, surtout devant son Harem à la campagne. C’est pris sur le fait et d’un exquis ragoût de couleur ; mais pourquoi le Bosphore de M. Pasini est-il si gris, quand son ciel est si bleu ? Ou ce ciel ou cette eau se trompe. C’est voyager aussi en Orient que de contempler les Femmes au bain et le Santon de M. Gérôme. Ces deux tableaux, qui sont d’un maître, ont un grand succès, même auprès des critiques qui se permettent de reprocher à M. Gérôme l’excessive précision de son dessin et de son pinceau, et de trouver qu’elle tourne quelquefois à la sécheresse. Il a mis cette fois dans sa peinture un mystère de perspective qui l’adoucit. Nous n’aimons pas beaucoup son santon nu, debout à la porte d’une mosquée. Il est rébarbatif et peu régalant ; mais la mosquée est délicieuse. Une fenêtre, à travers laquelle on aperçoit un peu de verdure, répand dans le lieu saint la fraîcheur d’un demi-jour plein de charme ; c’est à vous donner l’envie de vous faire musulman.

L’hiver russe a trouvé dans M. Chelmonski un éloquent et spirituel interprète. Son Dégel en Ukraine est admirable, personne n’a jamais peint avec plus de conviction et de vérité la neige fondante, on craint en la regardant d’attraper la grippe. Les personnages vêtus de peaux de mouton que M. Chelmonski fait patauger dans cette boue glaciale ont beaucoup de tournure ; mais pourquoi les a-t-il plaqués à ce point les uns contre les autres ? Ils se mettent tous en tas, ils font paquet ; serait-ce pour se réchauffer ? Nous goûtons aussi l’Intérieur laponais de Mme Zetterström. Autour d’une marmite qui bout sur un grand feu sont établis un jeune homme à demi couché, tournant le dos au spectateur et la tête renversée en arrière, une petite fille, une femme assise portant sur son dos un berceau où geint un enfant, une femme debout qui surveille le potage et qui est vêtue d’une robe d’un beau vert. On est fort gai dans cet intérieur primitif, tout le monde y rit, à commencer par le jeune homme qui renverse la tête ; ce rire vu à l’envers est agréable et communicatif. Ces personnages sont-ils vraiment des Lapons ? Nous nous imaginions, sur la foi des voyageurs, que les Lapons étaient petits, rabougris, qu’ils avaient la tête grosse, l’œil enfoncé et dépourvu de cils, le nez court et de vilaines dents ; ceux-ci en montrent de superbes. Après tout, que ce soient de faux Lapons, nous n’y voyons pas grand mal ; mais nous regrettons que leurs visages ressemblent un peu à du carton peint ; ce ne peut être l’effet du climat.

Le Japon ne serait-il plus à la mode ? Il est presque absent du