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sur certains cantons par les princes francs et les émirs. Enfin les incessantes dissensions des princes arabes entre eux, dissensions dont profitèrent les chrétiens, pour appuyer les uns au détriment des autres, ne furent pas une des moindres causes du rapprochement entre les deux races. En un mot, il se passa sous beaucoup de rapports, en Syrie, ce qui était advenu en Sicile, où l’influence arabe continua à prédominer à la suite même de la conquête normande, et où les compagnons de Robert Guiscard adoptèrent un grand nombre de coutumes de la civilisation orientale, si bien qu’une civilisation moitié arabe et moitié byzantine régna à la cour franque de Palerme.

Il y eut donc entre chrétiens et sarrasins des relations fréquentes qui amenèrent un échange constant des besoins de la vie. Dès lors, comme le dit fort bien M. Lavoix, le monnayage latin frappé aux types chrétiens ne suffit plus. Il fallut se conformer aux usages des Arabes et leur donner en paiement une monnaie frappée à un type qui leur fût familier. Cette monnaie d’or, commune aux Arabes et aux chrétiens, dut faciliter singulièrement leurs rapports journaliers. Ce besant chrétien au poids d’Acre, de Tyr, de Tripoli, fut, avec le dinar sarrasin, le numéraire le plus en usage dans tout l’Orient chrétien ; il semble que le besant au type sarrasin, accepté de tous, fut le seul qui ait eu cours légal dans toutes les principautés latines du Levant.

Quels furent les personnages qui fabriquèrent dans les ateliers chrétiens de Syrie ce monnayage impie ? Plusieurs chartes contemporaines répondent à cette question ; toutes sont d’accord pour nous montrer les seuls Vénitiens en possession de ce privilège si lucratif. Les rois chrétiens d’Arménie, par exemple, stipulent à chaque nouvelle charte octroyée aux négocians de la république, que, « si les Vénitiens importent de l’or ou de l’argent sur leurs terres et qu’ils en frappent des besans ou des monnaies, ils seront tenus de payer un droit, ainsi que le paient ceux d’entre eux qui frappent des besans et des monnaies au pays de Saint-Jean-d’Acre. »

Ainsi ces mêmes Vénitiens, qui plus que personne profitèrent des croisades, qui plus tard, lors de la prise de Constantinople, surent se réserver les meilleures portions du territoire de l’empire, ces Vénitiens qui, bien avant 1204, s’étaient arrogé tant de droits en Syrie, jusqu’à posséder leurs quartiers, leurs coutumes et leurs franchises dans toutes les villes considérables de terre-sainte, — nous les voyons encore accaparant le plus fructueux de tous les privilèges : celui de battre monnaie. Ils payaient au roi de Jérusalem un droit de 15 pour 100 sur les sommes mises par eux en circulation. Un document du temps nous donne jusqu’à l’indication de la maison où était établie la Zecca de Saint-Jean-d’Acre, l’atelier