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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/598

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découvrir quelqu’une dont la venue comble une place encore vide. Cette année même, nous avons eu la bonne fortune de retrouver une petite pièce inédite frappée au château du Toron par un des seigneurs de ce lieu. Le Toron de Syrie était un des plus fameux châteaux des croisés ; il avait été bâti par Hugues de Saint-Omer, prince de Tibériade, sur une éminence située à 10 milles de Tyr, qui était alors aux mains des Sarrasins. Le Toron devait protéger le territoire de Tibériade contre les incursions des bandes armées de l’émir de cette ville. Plus tard, quand Tyr fut tombée aux mains des croisés, le château du Toron fut constamment une des principales places d’armes de Syrie, et ses seigneurs jouèrent un rôle considérable en terre-sainte. Un d’entre eux, Humfroi III, est ce prince chétif, aussi faible d’esprit que de corps, qui se laissa enlever sa femme, la princesse Isabelle, héritière des droits à la couronne du Saint-Sépulcre, par l’ambitieux Conrad de Montferrat, seigneur de Tyr et rival de Guy de Lusignan. Du vieux Toron des croisés, qui vit si souvent le flot des armées sarrasines battre le pied de ses tours massives et où flotta si fièrement l’étendard des sires du Toron, il ne reste plus aujourd’hui que quelques substructions massives ; mais de ce sommet élevé on jouit d’une vue merveilleuse sur tout le pays accidenté qui l’environne. Sur la petite pièce de cuivre qui seule aujourd’hui rappelle l’existence du fier château franc, on lit la simple légende : Castri Toroni (Monnaie) du château du Toron. Au centre figure une vaste porte bardée de fer, fortifiée et crénelée ; c’est la porte d’honneur de la forteresse.

Mais pour une baronnie de terre-sainte dont on retrouve quelque monnaie inédite, combien d’autres ne sont pas représentées encore dans ce cadre des vieux souvenirs ! pour un château dont une petite pièce de cuivre vient nous redire le nom jadis glorieux, combien d’autres perdus sur les rivages de la mer, dans les gorges des montagnes ou sur les confins du désert, et dont on ne possède rien encore ! Qui connaît en France l’histoire de ces lointaines et colossales forteresses de la Pierre-du-Désert et de Montréal, gardiennes de la terre d’outre-Jourdain, et de tant d’autres moins éloignées, mais également formidables : Margat, possession célèbre de l’ordre de l’Hôpital, Ibelin, Blanchegarde, qui dominait la campagne d’Ascalon, Beaufort, Châteauneuf, Chastel-Blanc, aux chevaliers du Temple, Château-Pèlerin, également à cet ordre, et qui commandait le détroit, ce défilé célèbre situé entre Césarée et Caïphas ? Qui parle encore de tant d’enceintes glorieuses, aujourd’hui ruinées, où combattirent et périrent par milliers, pendant deux siècles et plus, les plus nobles chevaliers et écuyers de France ?

Parmi ces ruines qui servent aujourd’hui d’asile aux Arabes nomades et aux bandes de chacals, il n’en est pas d’aussi imposantes