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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/632

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sociale à la base même de la constitution. Quand solennellement en 1839, dans la plaine de Gulkhané, Abdul-Medjid décrétait l’égalité civile, s’il donnait au monde le spectacle d’une haute tolérance en imposant à ses sujets une loi nouvelle dictée par l’intérêt politique de son empire, le commandeur des croyans portait en même temps, aux yeux du vieux parti turc, une atteinte grave à ce qui jusque-là avait été considéré comme la seule loi qu’on ne peut transgresser. Ceux-là seuls pouvaient accepter les réformes qui étaient doués d’une bienveillance naturelle, d’un certain esprit de tolérance ou d’une indifférence religieuse qui n’a jamais été l’apanage des Slaves musulmans de Bosnie et d’Herzégovine. Aussi l’égalité écrite dans la loi n’est-elle jamais passée dans les mœurs des habitans de cette partie de l’empire, et, je crains de le dire, elle n’y passera point. Et le raïa soulevé, auquel la Sublime-Porte accorde toutes les concessions réclamées par les trois puissances, refuse de se fier à des promesses faites tant de fois déjà, si les gouvernemens de l’Europe n’apposent leurs signatures au bas des traités et n’en garantissent la stricte exécution.

Bien d’autres préjugés d’ailleurs viennent accroître la distance qui sépare les deux classes et empêche l’assimilation des Bosniaques. La domination musulmane, qui n’a jamais été complètement acceptée dans les provinces du nord, n’a apporté avec elle, à aucun moment, ces compensations de bien-être ou d’illustration que les conquêtes, même les plus tyranniques, donnent parfois aux populations en échange de la liberté ravie. Pour n’en citer qu’un exemple qui nous touche de près, nous aussi nous sommes entrés en vainqueurs dans les provinces slaves au commencement de ce siècle, mais notre courte occupation y a laissé d’autres souvenirs : des communications ouvertes, des habitudes de discipline, des exemples d’ordre, d’économie et de travail. L’islamisme, en se greffant sur la race slave, n’a porté que des fruits amers, et lorsque chez les Arabes, chez les Espagnols et les Perses on voyait florir une époque lumineuse, fertile pour les arts, pour les sciences, pour l’industrie, on a vu ce même islamisme rester stérile dans cette partie de la Turquie d’Europe où il s’est implanté par la violence depuis quatre siècles.

Est-ce à dire maintenant que le raïa lui-même, auquel les puissances apportent le concours de leur intervention, soit doué comme peuple des vertus qui manquent aux Bosniaques musulmans ? On n’oserait l’affirmer ; c’est une grande désillusion pour le voyageur que de constater les divisions, les dissensions intestines qui partagent les chrétiens du rite latin et ceux du rite grec. Unis dans l’oppression, il était naturel que ces Slaves le fussent dans la révolte ;