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mais dans toute la partie nord de la Bosnie, dans la Croatie turque et sur les rives de la Unna et de la Save, l’antagonisme est assez grand entre les deux rîtes pour que nous ayons vu de nos propres yeux les catholiques marcher à la suite des Turcs contre les Grecs soulevés. Il est vrai de dire qu’il n’en est point ainsi dans la Basse-Herzégovine ; mais il y a là d’autres plaies tout aussi profondes, et ce serait une autre face de la question qu’on devrait présenter au public. L’absence d’industrie élémentaire, si flagrante chez les raïas, peut être mise à la charge des prêtres franciscains qui ont la direction du troupeau catholique ; l’ignorance invraisemblable des orthodoxes et leur superstition doivent être attribuées à celles tout aussi grandes des membres du clergé grec. A défaut d’une administration gouvernementale qui leur dispense les moyens de sortir de leur barbarie, les chefs spirituels pourraient prendre en main la cause de la civilisation de ces générations chrétiennes de Bosnie et d’Herzégovine, sans crainte de voir l’autorité turque intervenir. Au lieu de cela, par une incroyable aberration, les prêtres des deux rites entretiennent la haine, et l’on peut dire, sans être taxé d’exagération, que, domination pour domination, le franciscain préférerait celle du Turc à celle du Serbe orthodoxe. C’est l’aveu naïf que nous faisait à Travnik un prêtre catholique à qui nous allions demander par quelle singulière anomalie nous avions pu voir les autorités turques distribuer des armes dans les villages catholiques et entraîner les habitans à la suite de leurs colonnes pour combattre les raïas insurgés.

Il est à cet état de choses des raisons évidentes qui sont fondées sur des motifs d’intérêt : le clergé catholique de la Bosnie jouit de privilèges spéciaux, le firman de Mohammed II leur a garanti la propriété absolue des terres qui leur appartiennent avec exemption des impôts ? un autre firman leur a concédé le droit de pouvoir étudier à l’étranger. Il n’y a pas un seul franciscain en Bosnie qui n’ait fréquenté au moins quelques années les séminaires de Hongrie, d’Autriche et d’Italie. Dépendant tous du collège de la propagande de Rome, ils connaissent l’esprit de corps, et ce sentiment les rend supérieurs au clergé orthodoxe, opprimé et pressuré par ses propres évêques : leur autorité est réelle, et le peuple les considère même comme infaillibles ; s’ils avaient employé leur influence à civiliser leurs ouailles et à leur apporter de l’extérieur ces notions d’industrie élémentaire qui auraient eu tant de prix dans ces provinces, à n’en pas douter, la face du pays aurait été changée. Le raïa sait labourer et rien au-delà ; il sait encore, après avoir coupé la peau de mouton qu’il a fait sécher, la tremper dans l’eau et coudre des lanières pour en faire les opanke, la chaussure