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content de lord Granville, c’est un homme droit et bienveillant. On a ici confiance en lui. La conférence la moins longue que j’aie elle ici depuis huit jours a été de plus de quatre heures. Si nous réussissons, nous nous rappellerons avec plaisir la pour que la Belgique nous aura donnée. Ma santé continue à être bonne. Celle de Mme de Dino s’est un peu dérangée depuis huit ou dix jours. Adieu, mille amitiés.

« Talleyrand.

« Vos lettres particulières me font un grand plaisir. Je vous en remercie de tout mon cœur. L’envoi de M. de Mortemart est approuvé par tout le monde. »


Quels sont les renseignemens qui résultent pour nous de cette lettre ? D’abord marquons-en la date : il est évident qu’à l’heure où Talleyrand l’écrit, rien n’est décidé quant au choix du roi des Belges. Il y a une indication plus précise : la conférence de Londres est réunie depuis huit jours ; or c’est le 3 novembre 1830 que la première séance a eu lieu, la lettre est donc du 11 ou du 12. C’est le moment où les hommes d’état de l’Angleterre, nous l’avons dit plus haut, croient encore qu’une séparation administrative des Hollandais et des Belges suffira pour tout arranger, sans que le royaume des Pays-Bas, constitué en 1815, soit perdu pour la maison d’Orange-Nassau. On croit cela aisément ici parce que c’est ce que l’en désire. Talleyrand n’en croit rien et ses désirs sont ailleurs. Où sont-ils ? Il laisse faire cette dernière tentative, il laisse le duc de Wellington et lord Aberdeen travailler à cette restauration partielle de la maison d’Orange, — car on blesserait trop de monde en s’y opposant, — mais il prévoit que l’entreprise échouera, et alors c’est sur le jeune prince de Naples que se porteront tous ses efforts. Ce jeune prince de Naples, c’était le prince de Capoue, âgé alors de dix-neuf ans, frère de Ferdinand II, qui venait de monter le 8 novembre sur le trône des Deux-Siciles, et neveu de la reine Marie-Amélie. On devine sans peine la pensée de Talleyrand : pour que la création d’un royaume de Belgique puisse profiter à la France, il est bon que son roi nous soit rattaché par des liens de famille. C’est précisément le même motif, au point de vue anglais, qui fait que les whigs songent au prince Léopold. Seulement, dans ces premiers jours de novembre 1830, les whigs ne sont pas encore au pouvoir ; c’est le 16 que lord Grey remplacera le duc de Wellington. Talleyrand à cette date peut donc s’exprimer comme il fait : j’ai déclaré que l’on ne pouvait plus penser au prince Léopold. Cette déclaration n’est pas aussi téméraire qu’elle peut le paraître ; le ministère tory avait peu de sympathies pour le mari de la princesse Charlotte, et à cause de ses accointances avec les whigs, et à cause de son désistement dans l’affaire de la couronne de Grèce. Bref, nous avons ici, dès le mois