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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/782

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leur intelligence, au service de l’entreprise qui leur était confiée, de ne l’abandonner, de ne la suspendre même sous aucun prétexte, tant qu’il n’y aurait pas péril imminent pour la flotte. Ils s’engagèrent en outre à donner à la compagnie de bons, de sincères, d’honnêtes renseignemens, et promirent, quoi qu’il pût arriver, de ne révéler à qui que ce fût au monde ses secrets.

Les masters vinrent ensuite et posèrent à leur tour la main sur le livre saint. Toute la science qu’ils pouvaient posséder, toute leur expérience de marin, devaient être employées à conduire à bon port le navire dont ils se trouvaient être, par l’autorité de la compagnie, « les maîtres après Dieu. » C’était à eux de le charger, de le décharger, de le recharger encore, d’y arrimer les nouvelles marchandises, le tout au plus grand profit de l’association. Il leur était surtout sévèrement interdit de se livrer à aucun trafic particulier ou de tolérer que d’autres à bord s’y livrassent.

Bien qu’on eût mis à la tête de l’expédition un homme de guerre, le voyage n’en restait pas moins purement et sans arrière-pensée un voyage commercial. Ni les souscripteurs qui en avaient fait les frais, ni le roi qui l’avait autorisé ne se proposaient d’accomplir la moindre conquête, ils ne songeaient pas davantage à travailler à la conversion des infidèles. Edouard VI, « par la grâce de Dieu roi d’Angleterre, de France et d’Irlande, » ne demandait « aux rois, princes, chefs, juges et gouverneurs » qu’il supposait habiter « les parties nord-est du globe terrestre, dans le voisinage du puissant empire du Cathay, » que de favoriser des échanges qui ne pouvaient manquer d’offrir un égal avantage aux deux pays. Écrite en arabe et datée de l’an 5515 de la création du monde, la lettre royale fut, par surcroît de précaution, transcrite en langue grecque et dans la plupart des idiomes qui étaient alors connus. « Dieu avait inspiré à l’homme, disait Edouard VI, plus encore qu’à toute autre créature vivante, le désir de se mettre en communication avec ses semblables, le besoin d’aimer et d’être aimé, de donner et de recevoir. C’était un devoir pour tous les conducteurs de peuples d’encourager, d’accroître, s’il était possible, cette disposition. Il était juste surtout de montrer une spéciale bienveillance à ceux qui, mus par leur inclination sociable, venaient pour la satisfaire de pays lointains. Plus long était le voyage qu’ils avaient accompli, plus manifestement se montrait leur sympathie ardente. Entre tous ces hommes, il fallait surtout distinguer les marchands. Ceux-là parcouraient le monde et par terre et par mer pour apporter les produits de leur pays dans des régions éloignées, pour en rapporter les objets qui convenaient à leurs compatriotes, car le Dieu du ciel et de la terre, dans sa prévoyante sollicitude, n’a pas voulu que tous les objets dont l’humanité a besoin se trouvassent réunis dans un