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seul pays. Il fallait, pour que l’amitié s’établît entre tous les hommes, que les diverses contrées de la terre eussent besoin l’une de l’autre. »

N’est-il pas évident qu’un esprit nouveau vient de naître et que. le moyen âge, vivant encore quand Christophe Colomb partait de Palos, quand Vasco de Gama saluait d’un suprême adieu la tour de Belem, a enfin rendu le dernier soupir ? Tout se lie et s’enchaîne en ce monde. Le progrès des sciences mathématiques avait singulièrement favorisé l’essor des deux monarchies de la péninsule ; par contre-coup, ce progrès servit la cause du catholicisme, intimement liée à la fortune des fervens destructeurs des Maures ; mais le XVe siècle ne fut pas seulement l’âge de la boussole et de l’astrolabe, il fut aussi le siècle de l’imprimerie. Les réformateurs possédèrent, à leur tour, le moyen d’aller loin et de marcher vite. Rapidement propagés, grâce à l’invention de Guttenberg, des principes inconnus jusqu’alors se font jour ; la lutte du libre examen et de la foi s’engage. C’en est fait à jamais des illusions naïves dont aime à se bercer la jeunesse des peuples.

Les temps ne seront pas moins féconds peut-être, ils seront assurément plus tristes. Dans l’astre pâle et terne qui monte à l’horizon, l’humanité inquiète ne reconnaît plus son soleil ; on dirait que la terre se refroidit. Ne nous flattons donc pas, en suivant la navigation hauturière dans son développement, de rencontrer rien qui soit comparable à ce cycle radieux qu’on voit s’ouvrir en 1415 sous les murs de Ceuta, se fermer un siècle plus tard au pied des remparts de Tenochtitlan[1], de Diù et d’Ormuz. La Providence s’était plu à marquer cette époque d’un caractère exceptionnel de grandeur, — inappréciable don que les races les plus favorisées ne reçoivent qu’une fois dans leur vie. Tout était à cette heure poésie et rayonnement. Pendant plus de cent ans, les marins de la péninsule nous ont fait vivre en pleine épopée ; d’autres navigateurs nous réservent des émotions plus sobres. La poésie s’évanouit peu à peu de l’histoire ; la certitude, en revanche, y prend place. Nous n’avons plus de ces lettres pompeuses dont le lyrisme inspiré semble conserver à dessein quelque chose de l’obscurité sacrée des oracles ; nous possédons un document bien autrement sérieux, « le journal de bord. » Plus de doute sur la nature des épreuves traversées, plus d’indécision sur l’étendue de la tâche accomplie. Nous prenons la mesure exacte de nos héros.

De vaillans compagnons se sont engagés par un contrat à vouer leur énergie, leur existence jusqu’à son dernier souffle, au succès

  1. Tenochtitlan est le nom que portait encore la ville fondée par les Aztèques en 1325, quand Fernan Cortès la prit, le 30 août 1521, et on fit le centre de la domination espagnole au Mexique.