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quelques endroits supérieurs aux blancs. Il en résulte qu’une bonne part du mépris qu’ils professent pour les noirs rejaillit sur les blancs, et, chose plus curieuse, que la qualité de citoyen américain ne leur semble rien d’enviable et qu’ils la repoussent expressément, surtout depuis que le plan adopté par Grant les menace de leur en faire don en compensation de leurs terres. L’idée d’obtenir la même fortune que les noirs ne les enivre pas. Écoutez ce petit paragraphe que M. Dixon a coupé dans un journal rédigé à Taliquah, principal campement des Cherokees, par un métis libéral, et dites-moi si vous avez jamais rencontré dans la plus aristocratique des contrées une expression de mépris plus prononcée, Il Comme peuple, nous ne sommes pas préparés pour la citoyenneté américaine, de n’est pas que nous ne soyons suffisamment intelligens, honnêtes ou industrieux, ou que nous manquions beaucoup de ces qualités essentielles qui rendent un homme capable d’être libre en tout lieu : c’est que nous n’avons pas cet apprentissage et cette expérience de l’astuce que la condition de la liberté autorise (si tant est qu’elle n’y encourage pas) à employer comme un droit national contre ceux qui sont sans soupçons, les deux parties étant également libres de duper et d’être dupées. » Voilà de la satire ou je ne m’y connais pas. L’expression est un peu embarrassée, mais le sentiment est fort et direct, et ces quelques lignes sont tout simplement une des boutades les plus insolentes qu’on ait jamais écrites contre les mœurs démocratiques, dont la fraude est en tout temps et en tout pays la malédiction.

De tous les états de l’Union, le plus arriéré est peut-être le Texas. Il est pour l’Amérique du Nord ce que sont pour nous la Corrèze, la Lozère ou les Hautes-Alpes, un territoire à entourer sur les cartes géographiques d’un cercle noir, indice de misère, d’ignorance ou de désordre. C’est qu’il se rencontre que par un privilège fatal le Texas est le théâtre des conflits des trois races, partout ailleurs divisées. Noirs contre blancs, blancs contre rouges, rouges contre noirs et blancs, voilà l’état social du Texas. Nulle sécurité ni pour les personnes ni pour les biens. Tout Texien est un cavalier armé d’une carabine ; il peut avoir besoin de fuir rapidement devant une invasion de Kiowas ou de Kickapoos, voleurs de bestiaux, ou de défendre sa vie contre l’agression d’un nègre ivre. Ajoutez des circonstances secrètes de climat et de nature qui sont ressenties, paraît-il, même par les animaux, et qui poussent à la sauvagerie. À cette violence de la nature répond la brutalité des mœurs, même chez la race blanche, où les habitudes d’ivresse et de rixe sont plus fréquentes que dans tout autre état. Aussi l’anarchie est-elle ici en permanence. « Je ne puis dire, disait un Texien à