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qu’excellaient les braves qui servaient sous Du Guesclin. On recourait en outre à la corruption ; l’on acheta plus d’un chef prêt à se vendre, on se ménagea par l’appât du gain des intelligences avec les assiégés en une seule campagne, les Français ne prirent pas moins de cent trente-quatre villes ou places fortes. En 1375, l’ennemi ne conservait plus sur notre sol que trois villes importantes, Calais, Bordeaux et Bayonne, et divers châteaux-forts de la Guienne et du Périgord. Les Anglais avaient essayé, il est vrai, de ressaisir une conquête prête à leur échapper et de recommencer en quelque sorte la campagne de Crécy. Le duc de Lancastre, à la tête d’une armée de 30,000 hommes, était sorti de Calais en juin 1373 et s’était avancé à travers la Picardie et la Champagne ; il s’imaginait rencontrer l’armée française accourant à la défense du territoire et l’écraser, comme cela avait eu déjà deux fois lieu ; mais Du Guesclin et les autres conseillers de Charles V firent aisément comprendre à ce prince prudent qu’il était dangereux de risquer encore dans une bataille les destinées du pays. On laissa les Anglais s’avancer ; on se contenta de leur fermer les places, de les observer, de les suivre à distance et de tomber de temps en temps sur leurs derrières. Nous fîmes en un mot aux Anglais le même genre de guerre que les Espagnols nous ont fait dans la Péninsule à partir de 1808. Nous laissâmes l’ennemi user ses forces et chevaucher à travers la Bourgogne, l’Auvergne, le Limousin, pour se diriger vers Bordeaux, en multipliant les obstacles sur son passage et évitant toujours d’avoir avec lui un engagement général.

La campagne, conduite par le duc de Lancastre, échoua ainsi complètement et eut tout le caractère d’une retraite. Au bout de cinq mois, les Anglais arrivaient en Guienne n’ayant plus de chevaux, décimés par les privations et par les maladies, car ils souffraient plus que nous du manque de vivres, du défaut d’approvisionnemens. La crainte des privations les obligeait de traîner à leur suite de nombreux bagages. Ils avaient dans cette campagne, écrit Froissart, grand besoin de charroy. En 1359, lors de l’expédition d’Edouard III en Champagne et en Bourgogne, on voit son armée traîner derrière elle huit mille chariots attelés chacun de quatre forts roncins et chargés de tentes, de pavillons, de moulins, de fours pour cuire le pain et de forges pour forger les fers des chevaux. Ces chariots transportaient en outre de petits bateaux destinés à la pêche dans les étangs, afin d’assurer l’approvisionnement des Anglais pendant le carême. Edouard s’était fait de plus accompagner de ses équipages de chasse et de fauconnerie. En 1374, le duc d’Anjou et Du Guesclin occupaient presque toutes les places situées sur la Garonne et la Dordogne, et en présence de ces succès les seigneurs des Pyrénées, qui attendaient l’issue de la guerre pour