se prononcer entre le duc d’Anjou et le duc de Lancastre, se déclarèrent pour la France. Charles V eût dû profiter de ces circonstances avantageuses pour conclure une paix définitive. Les résultats obtenus étaient considérables, le royaume avait un besoin impérieux de repos. La guerre durait depuis près de quarante ans, sauf de courts intervalles qui n’avaient été en réalité que des armistices. Le roi se borna à une trêve ; il espérait obtenir enfin l’affranchissement complet du territoire et l’évacuation de Calais et du Calaisis par les Anglais. En cela, il était soutenu peut-être par l’opinion ; mais c’était trop exiger dans la situation et risquer de compromettre ce qui avait été si péniblement conquis. Délivré d’un ennemi aussi dangereux et plus perfide qu’Edouard, de Charles le Mauvais, dont il confisqua, en châtiment de sa trahison, le domaine en Normandie, Charles V aurait dû remettre à des temps meilleurs ce dernier effort pour expulser complètement l’Anglais du royaume. Edouard était vieux et les difficultés intérieures qui s’annonçaient en Angleterre pouvaient obliger l’ennemi à renoncer à son occupation sur le continent. Cette politique prudente ne prévalut pas. On ne conclut qu’une suspension d’armes qui se prolongea sans doute, mais qui permettait aux hostilités de reprendre aisément. La royauté, dont l’autorité avait reçu tant d’atteintes sous le roi Jean et sous la régence du dauphin, gardait rancune à l’esprit de liberté, qui avait profité de ces revers pour se manifester ; elle demeurait en défiance contre les franchises provinciales et municipales. Si Charles V rendit à la France, durant la période pacifique que lui valut la trêve conclue, un commencement de prospérité, s’il y développa pour sa grandeur la culture des arts et de l’intelligence, il mécontenta certaines provinces en ne respectant pas leurs privilèges et leur indépendance locale. Le duc d’Anjou, qui gouvernait le Languedoc, leva arbitrairement des aides et des tailles, et voulut se passer du concours des états. La réunion à la couronne du duché de Bretagne, confisqué sur Jean de Montfort, qui, tout vassal qu’il était redevenu de la France, restait l’allié des Anglais, irrita la fière population de cette province et la fit tourner contre nous. Du Guesclin lui-même ne consentit pas à aller rétablir chez ses compatriotes l’autorité du monarque qu’il servait, et se contenta d’opposer en Languedoc, aux partisans des Anglais, le prestige de son nom et de sa bravoure ; en sorte qu’au bout de quelques années la situation si favorable où la France se trouvait placée en 1375 était de nouveau compromise. Le connétable mourait bientôt, et Charles V ne tardait pas à le suivre dans la tombe. La période brillante et jusqu’à un certain point heureuse qui marqua la seconde moitié du règne de Charles V ne fut donc qu’un glorieux entr’acte dans ce
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