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Pour produire les denrées nécessaires à l’existence de l’ouvrier et de sa famille pendant une journée, il ne faut pas tout un jour de travail. Marx suppose que cinq ou six heures suffisent. Si donc l’ouvrier travaillait pour lui-même, il se procurerait tout ce qu’il lui faut en un demi-jour, et le reste du temps il se donnerait du loisir ou du surplus ; mais l’esclave antique, devenu le serf du moyen âge, en conquérant la liberté dans la société actuelle n’a pas acquis du même coup la propriété ; il est donc forcé de se mettre au service de ceux qui possèdent la terre et les instrumens de production. Ceux-ci exigent naturellement qu’il travaille pour eux la journée pleine de douze heures ou plus. En six heures, il produit l’équivalent de sa subsistance : c’est ce que Marx nomme « le travail nécessaire ; » pendant les autres six heures, il produit de la plus-value au profit de ceux qui l’emploient. Le capitaliste paie la force de travail, l’Arbeitskraft, à sa valeur, c’est-à-dire en donnant la quantité d’or qui, représentant six heures de travail, permet à l’ouvrier d’acheter de quoi vivre ; mais comme il obtient ainsi la libre disposition de cette force de production qu’il a payée, il acquiert tout ce qu’elle fait naître pendant la journée pleine. Il échange ainsi le produit de six heures contre le travail de douze heures. Il met donc dans sa poche, comme profit net, le produit des six heures au-delà du travail nécessaire. De ce surplus « empoché » par le maître naît le capital.

Le capitaliste a différens moyens d’augmenter son bénéfice. Le premier consiste à multiplier le nombre de ses ouvriers. En effet, autant il a d’ouvriers, autant de fois il encaisse le produit des six heures de travail supplémentaires. S’il n’avait qu’un ouvrier, en prélevant pour lui le produit de la moitié de la journée, il obtiendrait seulement de quoi vivre comme l’ouvrier lui-même. S’il en a deux, il aura de quoi consommer l’équivalent de ce que consomment deux ouvriers, et ainsi de suite. — Le second moyen est de prolonger la journée. Plus l’ouvrier travaille au-delà du temps nécessaire qui représente son salaire, plus grand est le bénéfice qu’il rapporte à son maître. Marx montre ici par des exemples très détaillés empruntés à l’histoire de l’industrie et de la législation industrielle en Angleterre, que le capital et la machine tendent nécessairement à prolonger la durée de la journée, et que, pour les arrêter dans cette voie, il a fallu l’intervention de l’état et des bills successifs limitant les heures de travail. — Le troisième moyen consiste à diminuer la durée du « travail nécessaire. » Si l’ouvrier pouvait produire en trois heures ce qu’il lui faut pour subsister, le coût de sa puissance de travail diminuerait de moitié. Le capitaliste paierait donc la pleine valeur de la journée de douze heures en donnant la quantité d’or représentée par trois heures de travail,