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colère contre une fille d’infirmerie qui s’obstinait à promener dans ses bras un enfant moribond, atteint d’une petite vérole confluente, dont elle appuyait contre sa joue la figure tuméfiée. »

L’infirmerie joue malheureusement un grand rôle dans la vie des enfans abandonnés, qui viennent souvent au monde scrofuleux, rachitiques ou déjà travaillés par des maladies héréditaires. Aussi beaucoup ne font-ils que traverser la crèche pour être portés immédiatement à l’infirmerie, qui constitue un service commun pour les garçons et pour les filles. L’emplacement et l’organisation de l’infirmerie ne satisfont pas aux conditions d’une bonne hygiène en raison du peu d’élévation des plafonds et du défaut d’aération. Les médecins se plaignent aussi de ce que le nombre des infirmières n’est pas assez grand, ce qui, entre autres inconvéniens, prolonge le séjour des enfans au lit, non sans détriment pour leur santé. Pour remédier à cette insuffisance (au moins en ce qui concerne les plus jeunes), on les étale au nombre de 8 à 10 sur une sorte de lit de camp, à quelque distance du feu ; on les recouvre presque entièrement d’un drap très mince, et on les laisse là pendant quelques heures. Comme ils finissent presque tous, après avoir pleuré plus ou moins longtemps, par s’endormir, ce n’est guère qu’en soulevant le drap que le visiteur s’aperçoit de leur existence. Je ne connais pas de spectacle plus attristant que celui de cette lignée d’enfans malades et silencieux sous une sorte de suaire ; rien ne donne un pressentiment plus douloureux de l’isolement qui les attend dans la vie.

L’infirmerie est divisée en deux parties : l’une réservée aux affections médicales, l’autre aux affections chirurgicales. Dans la classe de ces dernières affections, on range les ophthalmies, maladie très fréquente chez les enfans dont le tempérament est malsain. Beaucoup de ces petits êtres sont couchés solitaires avec un bandeau sur les yeux, et le traitement qu’on leur fait subir ne les préserve souvent pas du bandeau plus épais encore qui s’étend à tout jamais sur leur vue. Cette maladie est aussi très contagieuse, et les soins qu’elle nécessite très périlleux. Il suffit qu’une goutte d’humeur purulente tombe dans l’œil de l’infirmière, religieuse ou laïque, qui tient l’enfant dans ses bras pour que la perte ou tout au moins l’affaiblissement de la vue puisse en résulter pour elle. De pareils cas d’infection ne sont pas rares, ainsi que ceux de contamination des nourrices par des enfans atteints de maladies héréditaires. L’administration encourt dans ce cas, au point de vue moral, une responsabilité incontestable, et bien qu’une jurisprudence rigoureuse ait refusé de consacrer cette responsabilité par une sanction pécuniaire, j’aime à croire qu’on continuera à ne pas la méconnaître.