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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/56

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cette hypothèse que l’impossibilité rationnelle de la comprendre » Il fallait que la science positive vint l’éclairer de ses expériences. C’est ce qu’elle a fait en démontrant, la balance à la main, l’indestructibilité de la substance matérielle. On pouvait croire, on avait cru même que la matière perd ou gagne en substance dans les incessantes transformations qu’elle subit, quand elle passe par exemple de l’état solide à l’état fluide, de l’état fluide à l’état gazeux, et réciproquement. On ne le croit plus depuis les expériences décisives qui ont prouvé que la même quantité de matière, attestée par le poids, subsiste sous toutes les formes que prend la substance pondérable. On avait hésité devant les objections de la philosophie demandant à la théologie comment la substance matérielle peut commencer ou finir avec ses diverses formes, si le néant n’est pas un mot vide de sens, s’il peut y avoir autre chose, dans les prétendues créations de la nature, qu’un changement d’état, s’il est possible enfin de concevoir l’hypothèse d’un néant absolu précédant l’acte de la création divine. Toutes ces raisons, qui sont certainement d’un grand poids pour les esprits philosophiques, ne pouvaient fermer la bouche aux partisans de la création e nihilo. Il est bien difficile aujourd’hui de la maintenir devant les enseignemens de la science expérimentale.

Ce n’est pas seulement l’hypothèse de la création primitive et absolue que la science prétend supprimer ; c’est encore et surtout ce système de créations partielles, de révolutions brusques, de genèses grandioses d’une foudroyante rapidité, sortes de coups de théâtre venant renouveler en un instant la scène du monde, qu’elle tend à remplacer par sa théorie de l’évolution, moins nouvelle encore par la pensée générale qui la domine que par les analyses, les développemens et les applications qui en ont fait toute une philosophie. Le grand Leibniz en avait posé les bases par sa théorie des perceptions insensibles, par son principe des infiniment petits, par sa loi de continuité. N’a-t-il pas dit : « Le présent est gros du futur, de même que le passé est gros du présent ? » Et même, en remontant jusqu’à l’antiquité, ne pourrait-on pas retrouver le germe de cette théorie dans la distinction péripatéticienne de l’être en acte et de l’être en puissance ? Mais la science contemporaine s’est approprié la doctrine de l’évolution en la dégageant de toute spéculation métaphysique et particulièrement de toute considération des causes finales. Nous ne pouvons que la résumer en quelques mots avec M. Janet, Aucune chose de la nature ne se produit tout d’abord d’une manière complète ou achevée ; rien ne commence par l’état adulte ; tout être au contraire commence par l’état naissant ou rudimentaire et passe par une succession de degrés, par une infinité de