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dire un mouvement vers un but[1]. Les deux philosophes qui dans l’antiquité et les temps modernes ont fortement exposé et défendu la doctrine des causes finales, Aristote et Leibniz, sont aussi ceux dont la philosophie se prête le mieux à la théorie de l’évolution.

La théorie spéciale connue sous le nom de transformisme n’est pas une doctrine indépendante de celle de l’évolution ; elle n’en est que le dernier terme et en quelque sorte le couronnement. Tout est difficile à expliquer dans cette mystérieuse transformation des êtres de la nature, depuis le plus humble état de l’être, nous ne disons plus le néant, jusqu’à cet état supérieur dont les caractères sont la sensibilité, l’intelligence, la raison, la volonté. Assurément l’origine du moindre spécimen de vie, du simple brin d’herbe, devient un problème redoutable, même pour l’imagination, en dehors du principe de l’évolution. Comment l’être vivant a-t-il apparu un jour sur la scène du monde, dont il n’est pas contemporain, ainsi que la science l’a prouvé ? Tant que la science n’est pas entrée dans la voie de l’explication par l’évolution, elle en était réduite à trancher là difficulté par l’hypothèse inintelligible de la création absolue. C’était toujours répondre à la question par le mystère. Le problème devient bien plus difficile à mesure que l’on s’élève dans l’échelle zoologique. Comment l’animal, comment l’homme a-t-il apparu un jour dans le monde ? En un mot, quelle est l’origine des espèces ? C’est à cette question que répond M. Darwin et son école par l’ingénieuse hypothèse de la sélection. Toute espèce supérieure a son origine dans l’espèce inférieure qui la précède immédiatement. Une loi de la nature voulant que la vie des animaux soit une lutte perpétuelle pour l’existence, il s’ensuit que les forts seuls survivent au combat. Or, comme ils n’ont pu triompher des faibles que par l’exercice constant de facultés, d’aptitudes supérieures, naturelles ou acquises par l’habitude, cette supériorité finit par devenir, en vertu de l’hérédité, un caractère saillant et fixe, propre à déterminer ce qu’on appelle une espèce. On comprendra d’ailleurs d’autant mieux cette transformation qu’elle se fait par degrés, lentement et insensiblement accumulés sous l’influence du milieu où vit l’individu qui devra devenir le père d’une espèce nouvelle, car l’école transformiste n’a garde de négliger aucune des causes secondaires qui peuvent concourir à la production du phénomène, et en rendre par là l’explication plus plausible. Que cette hypothèse soit en ce moment autre chose qu’une application hardie de la méthode scientifique qui a conduit à la théorie de l’évolution, l’esprit prudent et réservé de M. Darwin ne l’affirme point et laisse à quelques-uns de ses disciples les allures d’un dogmatisme trop confiant. Jusqu’ici, elle ne peut

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