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restauration de la monarchie ; mais elle voulait attendre le moment où elle pourrait, en la rendant acceptable, la faire accepter au pays. Elle ne pardonna point à M. Thiers d’avoir rompu aussi brusquement le pacte de Bordeaux, qui ne pouvait suffire plus longtemps au pays, et saisissant le prétexte de la partialité du président pour le parti républicain, et même de sa prétendue faiblesse pour le parti radical, elle le renversa et le remplaça dans la nuit du 24 mai 1873.

Le gouvernement qui succéda à celui de M. Thiers rencontra, dès le début, une difficulté insurmontable : l’impossibilité de gouverner avec la majorité de coalition qui avait renversé l’ancien président. Plusieurs des chefs parlementaires de cette majorité, notamment les ennemis irréconciliables de l’empire, tels que M. d’Audiffret-Pasquier, parlaient tout haut d’un rapprochement nécessaire avec le parti républicain ; le chef du nouveau ministère ne le crut pas possible. Ce n’est pas seulement parce que le sentiment réciproque des conservateurs et des républicains n’était point la confiance ; mais comment tenter, après la journée parlementaire du 24 mai, une conciliation qu’on eût eu beaucoup de peine à opérer auparavant ? Le centre gauche, le seul avec lequel on pût négocier, si près qu’il fût de s’entendre avec le centre droit sur les principes d’une politique conservatrice, pouvait à la rigueur se résigner par patriotisme à la chute du président qui avait toutes ses sympathies : il ne pouvait traiter avec le parti victorieux que sur la base de l’établissement de la république. C’était non-seulement sauver l’honneur du parti, mais convertir la défaite du 24 mai en une grande victoire. Aucune fraction de la droite n’en était là, tout au contraire. M. Thiers n’eut pas plutôt quitté le pouvoir que la fraction impatiente de la droite crut le moment venu de rétablir la monarchie traditionnelle, se mit tout de suite en campagne après la visite du comte de Paris à Frohsdorf, et finit par entraîner, sauf le groupe bonapartiste, tout le parti monarchique dans son entreprise, malgré les hésitations très réelles du gouvernement et de ses amis les plus dévoués. On sait comment cette entreprise fut arrêtée par une lettre du comte de Chambord. S’il se fût prêté aux concessions demandées par les amis de la monarchie constitutionnelle, eût-on réussi à faire cette monarchie à quelques voix de majorité ? Cela est fort douteux. Le moment était passé où le pays, dégoûté de l’empire, qui avait failli le perdre, et de la république, qui n’avait pu le sauver, l’imagination frappée par les désastres de la guerre étrangère et de la guerre civile, eût vu sans enthousiasme, mais sans résistance, s’accomplir la restauration de la monarchie des Bourbons. Entre les mains habiles d’un président conservateur, la république avait repris faveur, et l’on commençait à comprendre que son nom n’est pas synonyme