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portait ombrage. Et voilà comment le président du cabinet, qui, plus que personne, avait contribué à faire la constitution, devint, après cette mémorable campagne, le ministre le plus attaqué, le plus injurié, le plus calomnié même, par le parti auquel il avait donné la victoire, et le plus impopulaire parmi les électeurs, qui ne purent comprendre comment le ministre ainsi poursuivi par la haine des républicains pouvait être dévoué à la république constitutionnelle, devenue la loi du pays.

Cette rare impopularité du ministre qui devait présider aux élections ne suffirait pas à en expliquer le résultat, si désastreux pour les conservateurs amis de la liberté et de la constitution, du moins quant à la chambre des députés. La cause du parti conservateur était perdue d’avance, et le nom de son chef ne fit qu’en rendre la défaite plus complète. Ce n’est pas ce nom seul qui a « porté malheur à ses amis, » c’est l’anarchie parlementaire, qui, après le vote des lois constitutionnelles, n’avait fait que s’accroître dans les rangs de la droite, c’est surtout la question de la monarchie et de la république restée à l’ordre du jour, et ravivée par l’attitude de M. Buffet. Chaque fois qu’un appel général est fait à un corps électoral, surtout au suffrage universel, les élections, dans notre pays particulièrement, se font sur un mot d’ordre. Si le mot d’ordre est juste, les élections sont bonnes, que le suffrage universel en ait conscience ou non ; s’il est faux, elles sont mauvaises. En 1871, c’était la paix et la légalité ; en 1876, ce fut la république et la liberté de conscience. La devise n’était pas mauvaise en elle-même ; mais elle devenait fausse et dangereuse par l’exaltation des passions populaires qui la traduisaient brutalement par le cri d’à bas les monarchistes et les cléricaux ! Voilà comment les élections de 1876, libres de toute influence gouvernementale, mais livrées à l’ardente initiative des comités, dépassèrent, on peut l’affirmer maintenant, la mesure exacte des nécessités de la situation. L’intérêt du pays voulait une chambre des députés républicaine, constitutionnelle, conservatrice et libérale. Républicaine, les élections ont comblé, sous ce rapport, les amis même passionnés de la république. Quant au reste, il faudrait être pessimiste pour désespérer de le voir venir, grâce à l’expérience qu’acquerra bien vite la chambre actuelle dans la pratique des institutions et des affaires, grâce surtout à la salutaire pression de l’opinion du pays, affamé d’ordre et de repos ; mais il faudrait une forte dose d’optimisme pour y compter d’avance, sur les premiers signes de vie parlementaire donnés dans la session qui vient de finir.