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pays natal, où elle espérait vaguement retrouver sa mère, dont le souvenir ne l’a jamais quittée et qui, elle, était une sainte femme ; mais le quartier que la famille Lapidoth habitait autrefois est démoli, personne ne se rappelle plus ceux qu’elle cherche. À bout de ressources, menacée, insultée, tremblant devant la honte plus que devant la mort, elle a voulu dans un moment de délire demander aux eaux profondes de la Tamise cette paix qu’elle n’a jamais connue, et que les soins réunis de Daniel Deronda et de Mme Meyrick vont lui donner. Mirah est une perle, la boue n’a fait que la laver ; elle s’est forgé, avec tout ce qu’elle a trouvé de beau dans les drames et ailleurs, un monde idéal où elle cherche refuge contre les infâmes réalités qui l’entourent, et elle conserve en dépit de tout un trésor d’innocence, de naïveté enfantine d’autant plus admirable qu’il n’a rien de commun avec l’ignorance, car personne ne connaît mieux qu’elle le mal et la douleur. Son talent de chanteuse lui permettra toujours de gagner le pain quotidien ; mais elle a pour du théâtre, où elle a tant souffert. Soit ! on tâchera de lui procurer des leçons. De toute manière, elle ne quittera pas les Meyrick, et Deronda pourra continuer à diriger ses actes. C’est l’attachement profond que lui inspire la pauvre jeune créature qu’il a sauvée qui va le protéger à son tour contre Gwendoline Harleth. Celle-ci n’est pas désormais dans une position beaucoup plus prospère que Mirah Lapidoth elle-même. Rentrée à Offendene, que sa famille ruinée va se voir forcée de quitter sans retard pour un gîte plus modeste, elle n’a d’autre ressource dans le dénûment qui résulte pour elle et pour les siens de la faillite Grapnell que d’accepter une place d’institutrice.

L’idée lui est bien venue de débuter à l’Opéra, mais elle apprend hélas ! qu’une agréable voix de salon, de la grâce et de l’esprit ne suffisent pas pour obtenir le genre d’engagement qu’elle désire. Un artiste de ses amis a le courage de lui ouvrir les yeux, de lui montrer l’abîme où tombe immanquablement une jolie femme qui se hasarde sur les planches sans aucune provision de science ni de génie, avec le seul talisman de sa beauté. Donc il ne lui reste qu’à entrer comme institutrice dans la famille collet monté d’un évêque, ou bien en qualité de sous-maîtresse dans un pensionnat. En attendant, Gwendoline est réduite à se défaire de ses bijoux : elle ne s’en réserve qu’un seul, le collier de turquoises qu’enveloppe encore le mouchoir de Daniel Deronda. Quant à dire à sa mère ce qui s’est passé entre elle et Grandcourt, elle ne le fera jamais. Un mot de Mme Davilow la frappe cependant : — Si M. Grandcourt revenait à toi sans craindre la charge d’une famille pauvre, ce serait une preuve d’attachement bien rare. — Cette preuve d’attachement, Grandcourt la lui donne. Il sait non-seulement qu’elle est devenue pauvre, mais encore qu’elle a vu Lydia Glasher. Lush, acharné à faire manquer le