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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/888

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était né pour être diplomate. « Je répondis, écrit-il à la compagnie, suivant ce qui me parut le plus convenable. » C’est fort bien ; mais nous soupçonnons fort qu’il lui parut convenable d’exalter, au détriment de Soliman le Grand et de Ferdinand Ier, la puissance d’Ivan IV.

Obdolokan voulut ensuite savoir si son hôte avait l’intention de pousser plus avant son voyage, quel en était le but, quel en était l’objet. Jenkinson déclara qu’il était porteur de lettres de sa très excellente majesté la reine d’Angleterre pour le grand-sophi. La reine requérait, avec l’amitié de l’empereur de Perse, le droit de circulation pour ses sujets, un sauf-conduit pour leurs marchandises. Obdolokan approuva fort ce projet : non-seulement pour sa part il accorderait le passage réclamé à travers ses états, mais il fournirait de plus à Jenkinson une escorte. « La cour du sophi, ajouta-t-il, est à trente journées de marche de Shamaki. Le sophi habite, dans l’intérieur de la Perse, un château appelé Casbin. »

Le 24 septembre, l’envoyé d’Elisabeth fut de nouveau mandé au pavillon du roi. Obdolokan était encore au lit. « Son habitude, nous raconte Jenkinson, est de veiller la nuit, de festiner alors avec ses femmes, qui sont au nombre de 140, et de dormir ensuite une grande partie du jour. » Nous commençons à être édifiés sur les occupations du roi d’Hircanie. Ce ne fut qu’à trois heures de l’après-midi qu’Obdolokan sortit de sa couche ; il en sortit pour se remettre à table. Pendant ce temps, Jenkinson, sur l’ordre du prince, prenait avec quelques gentilshommes de la cour sa part d’une brillante chasse au faucon ; plusieurs grues tombèrent sous la serre des éperviers. A son retour au camp, dès qu’il approcha de l’entrée du pavillon royal, deux gentilshommes vinrent au-devant de lui. Chacun de ces gentilshommes portait sur le bras une robe, l’une de soie unie, l’autre de soie brochée d’or. Pour endosser ces nouveaux vêtemens, Jenkinson dut quitter sa pelisse de velours noir garnie de zibeline. Transformé par la munificence du roi en Persan, l’ambassadeur anglais passa dans la tente, fit humblement sa révérence au prince et lui baisa la main. Obdolokan était en ce moment de fort joyeuse humeur. A la fin du repas, il donna l’ordre d’apporter le sauf-conduit promis à Jenkinson, le lui remit et désigna son propre ambassadeur, l’ambassadeur revenu récemment de Russie, pour accompagner à Casbin l’ambassadeur anglais. La bienveillance d’Obdolokan n’était pas encore satisfaite. Jenkinson, avant son départ, reçut en présent un magnifique cheval qui lui fut amené tout harnaché. Quant aux marchandises dont se composait la pacotille fournie par le magasin de Moscou, elles traversèrent le pays d’Hircanie sans payer aucun droit. Le voyage commençait sous d’heureux auspices.