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dont nous sommes encore les témoins, ce qui était une idée lumineuse pour l’époque. A l’en croire, la pluie, les vagues de la mer, les rivières détruisaient peu à peu les continens; les débris entraînés par l’eau courante au fond de l’Océan, reconstituaient de nouveaux mondes qu’un ébranlement volcanique soulèverait plus tard au-dessus des flots. C’est ainsi, disait-il, que les choses se passent de notre temps; c’est ainsi qu’elles se sont toujours passées. Les roches les plus anciennes étaient considérées par lui comme dérivant d’autres roches d’une série préexistante. Dans l’économie du monde, il ne trouvait ni les traces d’un commencement, ni la perspective d’une fin. Il introduisait dans le temps l’infini que les astronomes avaient introduit déjà dans l’espace. Hutton écrivait peu, et ce qu’il écrivait n’était pas toujours clair. L’un de ses élèves, Playfair, se fît l’élégant commentateur de la théorie huttonienne. On l’accusait de faire revivre le dogme païen d’une succession éternelle, à quoi il répondait que l’univers obéit à des lois qui, à l’inverse des institutions humaines, n’ont pas en elles les élémens de la destruction. N’oublions pas qu’un mysticisme inquiet surveillait alors de très près les découvertes scientifiques. Il n’y avait pas longtemps que Buffon s’était senti contraint de rétracter les passages de son Histoire naturelle, que les docteurs de Sorbonne avaient jugés contraires au récit de Moïse. Les idées nouvelles, cette intervention constante du feu central et des eaux courantes, cette ignorance d’une création initiale, tout cela déplaisait aux théologiens. Hutton avait au surplus un contradicteur qui, s’en tenant à l’observation scientifique, professait des doctrines toutes différentes.

Il est bien vrai que les faits, base essentielle de toute théorie scientifique, faisaient défaut aux géologues écossais de ce temps. Ils n’avaient guère étudié que les couches du terrain; la paléontologie était encore à naître. La physique du globe n’existait pas. La minéralogie leur était presque inconnue. En Allemagne, au contraire, la géologie prenait dès cette époque une allure plus dogmatique. Werner, qui était professeur de minéralogie à l’école des mines de Freyberg, en Saxe, enseignait à ses élèves ce qu’était la structure du globe, ou du moins ce qu’il en pensait. Autour d’un noyau solide dont les roches granitiques lui paraissaient être les témoins, il imaginait que la terre avait été recouverte jadis par un océan au fond duquel les strates modernes s’étaient déposées les unes après les autres. Cet océan s’était ensuite desséché en partie. Pour lui, toutes les roches supérieures au granit étaient d’origine aqueuse, même les basaltes. La Saxe ne possède pas de volcan; il ne voulait point croire que ces grands exutoires du feu central eussent contribué ailleurs à modeler la croûte terrestre. L’eau était,