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de guerre de toute sorte, des réparations des navires cuirassés, obligeait toutes les nations, pour maintenir leur état naval, à augmenter leur budget, au moment, par exemple, où l’Angleterre élevait le sien au chiffre énorme de 280 millions, déduction faite de toute dépense coloniale et militaire.

L’ensemble de ces faits suffirait seul pour expliquer à quel point est fâcheuse la situation actuelle de la marine française. Retirer à une plante vigoureuse l’arrosage qui jusqu’ici lui a donné la sève et la vitalité, faire succéder les unes aux autres les années de sécheresse, c’est assurer son rapide dépérissement. Il est évident que, financièrement, les années qui ont suivi la guerre de 1870-71 ont été pour la marine des années désastreuses. Et, par une de ces anomalies qui confondent la raison humaine, l’écueil sur lequel elle a fait naufrage a été l’écueil de sa propre excellence. Quand la douloureuse situation léguée par nos malheurs nous a contraints à chercher partout des économies à réaliser, on s’est trouvé en face des plus grandes difficultés. Les budgets des divers départemens ministériels sont avant tout des feuilles d’émargement sur lesquelles il est presque impossible de rien prélever, si on ne veut pas briser des situations honorablement acquises. Seules l’armée et la marine inscrivent à leur budget de grosses dépenses, qui se traduisent en solde d’hommes enchantés d’être congédiés et en matériel qui ne fait pas d’oppositions. Il ne pouvait entrer dans l’esprit de personne de diminuer les dépenses de l’armée ; on s’est tourné alors vers la marine. Pendant la guerre, elle avait fait tout ce qu’on attendait d’elle, et à l’heure des grands périls, son personnel avait apporté partout le concours d’un dévoûment. et d’une discipline inébranlables. Aussi le lendemain était-elle au faîte de la popularité. C’est ce qui l’a perdue. « La marine, est parfaite, disait-on ; elle n’a besoin de rien. Nous la retrouverons toujours. Nous pouvons lui demander encore un sacrifice, elle est assez riche pour cela. » Le sacrifice a été fait, et en 1872 le budget propre de la marine, colonies et troupes déduites, est tombé à 106 millions. La chute était rude, si l’on compare ce chiffre aux 175 millions des budgets de l’empire, si on le compare surtout au budget de la marine anglaise.

Mais enfin, une fois l’amputation faite, cette somme, si réduite qu’elle fût, a-t-elle été au moins totalement consacrée à produire la plus grande force navale possible, à faire des torpilles, des canons, des vaisseaux, et à envoyer ces derniers à la mer, montés par des officiers et des équipages capables et contens ? Eh bien ! non, une grande partie est allée s’égrener en route. C’est que le fleuve budgétaire, au lieu de rester sur tout son parcours un puissant. moteur, est vite détourné en une foule de petits canaux où sa force s’épuise jusqu’à ce qu’il finisse par disparaître dans un inextricable