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se seraient faites hors du cadre, sans que l’avancement normal eût subi aucun retard. C’était, à vrai dire, un simple palliatif, mais dans les questions de personnes les palliatifs valent la peine d’être essayés. On ne l’a pas fait, le procédé étant en dehors de notre invariabilité administrative. Au lieu de cela, on a eu recours à d’autres moyens. On a réduit la durée des embarquemens et celle des commandemens, mesures regrettables qui n’ont que des inconvéniens. Elles obèrent les officiers, refroidissant leur ardeur et diminuent la valeur du navire et de son équipage, en les désorganisant périodiquement. Que deviendrait un régiment dont le colonel changerait tous les ans ?

Il est facile, après l’exposé que nous venons de faire, de s’expliquer le découragement dont sont saisis beaucoup de nos officiers : « Nous avons pourtant fait notre devoir et porté haut l’honneur du nom français. A l’heure des désastres chacun a pu voir quelle a été notre conduite au siège de Paris, aux armées de la Loire et du Nord. En récompense, on brise notre carrière, on en ferme les issues. » Ces doléances méritent d’être écoutées, car elles sont sérieuses et fondées. Pensons aussi que, si aujourd’hui, en 1876, sur 742 lieutenans de vaisseau, nous en avons 278 à la mer, les Anglais, sur 748, en ont 520. Chez nous un tiers, chez eux les deux tiers. Pour les capitaines de vaisseau, la proportion des commandemens est encore bien plus forte, en France, sur 110, 29 commandent. En Angleterre, sur 194 il y en a 97 : le quart en France, en Angleterre, la moitié. Il faut méditer ces chiffres, car les bons officiers et les bons chefs se font, nous ne saurions trop le répéter, par la pratique, l’expérience, l’exercice du commandement, et il faut en conclure, que, si nous ne voulons pas descendre du niveau élevé que nous avions atteint à une infériorité relative, il est temps et grand temps de relever le chiffre de nos armemens.

Il serait en dehors du cadre dans lequel ce travail doit se renfermer, de rechercher de quelle manière et dans quelle proportion de navires devrait se faire cette augmentation. Cependant nous ne pouvons nous empêcher de faire observer que l’escadre cuirassée actuelle ne remplit que très imparfaitement une des fonctions les plus importantes des anciennes escadres d’évolutions, celle de faire des lieutenans de vaisseau. Cette escadre est si coûteuse à entretenir, par les dépenses de charbon, que nécessitent les moindres déplacemens de navires dont la sûreté d’évolution à la voile est toujours douteuse, par les sommes énormes qu’entraîne sur ces mêmes navires la réparation de la moindre avarie, qu’elle navigue forcément fort peu de temps, et pendant ce peu de temps le capitaine est toujours là pour surveiller lui-même les manœuvres, de son bâtiment.