Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

source? Tu l’as entendu chanter en Argonne, les échos des forêts du pays doivent la répéter encore. Retournons-y ensemble. Je t’amènerai deux joyeux compagnons qui seront enchantés d’être pilotés par toi. Nous passerons gaîment huit jours à courir les villages et les défilés de la forêt. Nous y retrouverons ta chanson, et qui sait? peut-être aussi Franceline...

Tristan a hoché la tête. — On ne rêve pas deux fois le même rêve, a-t-il répondu en soupirant. — Pourtant cette fugue de huit jours à travers bois le tentait. Il s’est laissé séduire par l’idée de nous servir de cicérone, et en nous quittant, nous nous sommes donné rendez-vous aux Islettes.


10 septembre. — « Ainsi, laissant après elle un blanc sillon de lumière, une étoile filante glisse du ciel dans la mer, et le matelot crie à ses compagnons : Enfans, larguez les voiles, le vent est bon ! » — Ces vers de Théocrite me revenaient à la mémoire, tandis que le train fuyait à travers la vallée de la Meuse. Le convoi, enveloppé d’une blanche traînée de vapeur, glissait doucement en effet sur la verte étendue des prés, comme ferait une étoile filante à travers le ciel. A Verdun, je montai dans un antique cabriolet qui me cahota lentement le long de la côte qui domine la Meuse, puis insensiblement s’enfonça dans des solitudes boisées, au sommet desquelles je découvris tout à coup à mes pieds la plaine tantôt jaune et tantôt verte, prolongeant au loin, sous une fine lumière d’automne, ses molles ondulations jusqu’aux premières maisons de Damvillers.

C’était là que je devais trouver mes compagnons de voyage. Ce sont deux frères, tous deux artistes. L’aîné est peintre, et, bien que fort jeune, il n’a pas attendu longtemps ces premiers sourires du succès qui, au dire de Vauvenargues, sont plus doux que les feux de l’aurore. Les terres fortes de notre pays meusien ne sont guère fécondes en artistes, mais quand elles en produisent un de loin en loin, elles le font robuste et original. Mon ami ressemble à ces poiriers trapus, nés à grand’peine dans un sol pierreux, mais qui, ayant une fois pris le dessus, donnent des fruits pleins de suc et de saveur. Petit, leste, énergique et narquois, doué d’une remarquable habileté de main, il possède déjà tous les secrets de son métier, mais c’est là le moindre côté de son talent. Ce qui constitue sa véritable originalité, c’est une finesse savante jointe à une scrupuleuse sincérité; une couleur sobre, claire, argentée, qui enveloppe ses têtes de bourgeois, d’enfans ou de bergers dans un bain d’air lumineux; c’est en un mot la netteté et le naturel, ces deux maîtresses qualités qui font les bons peintres comme les bons écrivains. Dégagé des conventions de l’école, il est resté dans le sentiment