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La chapelle était close, et le sacristain de Futeau, après l’avoir verrouillée, s’en retournait, emportant dans une boîte oblongue le calice qui avait servi pour la messe. La petite prairie était redevenue solitaire et les ombres des pommiers s’allongeaient. Nous avons plié bagage, afin de visiter avant la nuit la Gorge-nu-Diable qu’on nous a beaucoup vantée. Le dernier incident du pèlerinage nous a laissés pensifs et taciturnes. Tristan, seul, songeant à sa Franceline, aussitôt perdue que retrouvée, exhale tout haut sa mélancolie : — Elle est heureuse, elle, soupire-t-il en secouant les cendres de sa pipe; elle a un mari, des enfans, et elle se console dans ce milieu réchauffant de la famille. Quand le nid est bâti, l’oiseau ne vagabonde plus à travers la forêt. A mesure qu’elle devient plus intense, la vie de famille rétrécit de plus en plus son rayonnement. Seul, le célibataire est semblable à ces ronds circulaires que la chute d’une pierre produit dans une eau paisible; il étend de plus en plus ses cercles ondoyans, et les pousse élargis et inutiles vers des rives désertes...

Je ne sais quelle fée nous a enguignonnés, mais nous errons comme des âmes en peine dans la forêt de Beaulieu, sans pouvoir trouver l’entrée de la Gorge-au-Diable. Le jour tombe, la futaie s’enténèbre; impatientés, nous finissons par prendre le premier sentier venu et nous le suivons à l’aventure. Au bout d’une heure, nous atteignons un espace vague et découvert qui, dans la nuit, nous fait l’effet d’une vaste clairière vaporeuse. — Où diantre sommes-nous? — Le cri d’une poule d’eau et l’air plus humide qui nous caresse le visage nous apprennent enfin à quel point nous nous sommes fourvoyés.

— Parbleu! s’écrie Everard, depuis deux heures nous piétinons sur place, et nous revoilà quasi au point de départ. Ce que nous prenions pour une clairière est un étang, et ces formes blanches qui dansent là-bas comme des fantômes, sont tout bonnement des buées de brouillard.

— Je parie, ajoute le Primitif, que Tristan nous a égarés exprès, afin de nous ramener vers la maison de la dame de ses pensées !

Tristan ne répond rien et fait de vains efforts pour s’orienter. — Nous ressemblons, dit Everard, au Petit-Poucet, perdu dans les bois avec ses frères, et je vais comme lui grimper à un arbre pour essayer de voir par-dessus la brume.

En même temps, il escalade un tremble et se hisse jusqu’à la fourche des dernières branches. — Sauvés! nous crie-t-il, j’aperçois une lumière à l’autre extrémité de l’étang. Ce doit être le logis de l’Ogre; allons-y bravement.

Nous nous remettons à longer prudemment la lisière, Peu à peu