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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/341

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ou russe ne les a point obtenus; c’est une perte pour lui sans compensation aucune.

La situation du fabricant et du commerçant est plus complexe. S’ils vendent les marchandises qu’ils ont en magasins à leurs compatriotes au même prix qu’auparavant, ils perdent évidemment le montant de la dépréciation. Cependant, comme les prix des autres choses ne s’élèvent pas tout de suite en proportion de cette dépréciation, le commerçant indigène a encore un avantage sur son concurrent étranger : il peut vendre aux anciens cours ou à des cours légèrement supérieurs, et ne pas subir de perte, tandis que le commerçant étranger qui sera payé en monnaie dépréciée est forcé de retrouver immédiatement dans l’élévation des prix la compensation exacte de la dépréciation. Le papier-monnaie, dans ce premier moment, agit comme une protection accordée au commerçant indigène. C’est aussi pour lui une prime à la sortie, car il a intérêt à écouler ses marchandises au dehors pour recevoir une monnaie métallique de bon aloi et réaliser la prime dont elle jouit par rapport au papier.

Ces avantages durent tant que les prix ne sont pas nivelés sur la valeur du signe monétaire; aussitôt qu’ils le sont, et ils ne tardent pas à l’être, la protection disparaît, et le commerçant indigène est obligé de vendre comme ses concurrens étrangers eu tenant compte de la dépréciation de la monnaie, car il ne pourrait remplacer ses marchandises aux anciens prix. Il n’a plus de profit également à vendre au dehors : la prime qu’il réaliserait avec la monnaie métallique serait perdue d’avance par l’élévation des prix de toutes choses autour de lui. Non-seulement il n’a plus d’avantages, mais il se trouve même bien vite dans une situation particulièrement défavorable. L’étranger qui achète la marchandise d’un pays où il y a une monnaie régulière, une marchandise anglaise par exemple, accepte parfaitement la stipulation ordinaire, qu’il devra s’acquitter en livres sterling à une échéance déterminée : il sait que le taux du change variera très peu et n’altérera pas sensiblement son prix; mais, s’il achète une marchandise italienne, autrichienne, russe ou américaine, stipulée payable en lires, florins, roubles ou dollars, il ne sait pas exactement ce qu’il aura à payer à l’échéance de son engagement. La variation du change subordonnée à la dépréciation du papier-monnaie peut être considérable; dans le cours d’une année, en 1866, en Italie, elle a été de 40 pour 100, et il n’est pas rare qu’en un mois, c’est-à-dire dans un espace de temps moindre que la durée d’une échéance commerciale, elle soit de 5 pour 100 et même de 10. L’étranger acheteur, en face de pareilles éventualités, voudra se couvrir d’avance des risques qu’il court, et il paiera les produits italiens, autrichiens, etc., moins cher à qualité égale que les produits anglais. S’il est vendeur, il fera peser de même sur