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On a parfois lieu d’admirer la subtilité ingénieuse que déploient les fous pour interpréter les témoignages de leurs sens en faveur de la passion qui les domine. C’est surtout dans les cas de folies produites par des passions dépressives, dans la lypémanie, dans le délire de persécution, que les exemples en sont fréquens et remarquables. MM. Drouet et Foville ont cité des faits frappans qu’il leur a été donné d’observer pendant les terribles événemens de 1870 et 1871, soit à l’hospice de Charenton, soit à l’asile dit de Vaucluse. Ni le spectacle des combats journaliers qui se livraient presque sous leurs yeux, ni le va-et-vient tumultueux des trains d’artillerie, des équipages d’ambulance, des convois de munitions, ni le bruit assourdissant de la mousqueterie et de la canonnade ne peuvent captiver l’attention des malades et les détourner de leur délire. Celui-ci, qui se donne le nom de Paul-Émile, et qui, désigné par Dieu pour occuper le trône de France, n’en est écarté que par les maléfices électriques d’une société secrète, reste convaincu que Paris n’a jamais été assiégé pour de bon ; ce sont des imbéciles qui tirent le canon pour s’amuser, et le but réel de tout cela, « c’est de le pousser à bout, lui, prince Paul-Emile, et d’avoir un prétexte pour le faire crever de faim en réduisant de plus en plus le régime alimentaire du toute la maison. » — Cet autre, ancien capitaine de la garde impériale, déclare qu’il n’est pas dupe de tout ce tapage; la France est toujours en paix, l’empereur aux Tuileries, les communications sont libres, et si l’on refuse d’envoyer ses lettres à ses parens et de lui faire parvenir leurs réponses, c’est qu’on fait cause commune avec ses persécuteurs : il n’y a pas de balles dans les fusils et la canonnade est une comédie inventée par quelques officiers de son régiment ; les journaux qu’on met sous ses yeux pour le détromper ont été rédigés et imprimés par ses ennemis, et il reproche amicalement au médecin de se faire le complice de cette supercherie.

Ces ressources infinies pour détourner de leur vrai sens les témoignages les plus authentiques et les interpréter à son profit, la passion, quand elle est forte, les déploie naturellement chez ceux-là même qui ne sont pas fous. Molière a tiré de là quelques-uns de ses effets les plus comiques. La vieille Bélise est convaincue que de nombreux amans brûlent pour ses charmes; vainement lui donne-t-on les preuves les plus manifestes qu’elle se trompe : elle les tourne toutes en faveur de sa chimère.

— On ne voit presque point céans venir Damis.
— C’est pour me faire voir un respect plus soumis.
— De mots piquans partout Dorante vous outrage.
— Ce sont emportemens d’une jalouse rage.
— Cléonte et Lycidas ont pris femme tous deux.
— C’est par un désespoir où j’ai réduit leurs feux.