Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’en voulait plus depuis longtemps dans le Nouveau-Monde : Francfort et Berlin leur firent si bon accueil que les bourses de ces deux villes portèrent aux cours de 70 et de 90 des papiers aujourd’hui cotés 10 et 20, et qui ne paient plus aucun intérêt ; mais l’Allemagne était assez riche désormais pour prétendre au droit de se ruiner sur des valeurs allemandes. Justement une loi votée quelques jours avant la guerre avait ouvert une libre carrière à tous les esprits entreprenans. Le 11 juin 1870, le parlement de l’Allemagne du Nord avait affranchi les sociétés par actions de la nécessité de l’autorisation préalable. La loi était excellente en elle-même. La société par actions a beaucoup d’avantages sur la société commerciale, et, entre tous, celui de réunir plus aisément les énormes capitaux aujourd’hui réclamés par les entreprises industrielles ; mais elle a aussi des inconvéniens et des dangers. Rarement le directeur d’une société administre avec autant de conscience et d’économie pour le compte des actionnaires que l’associé pour ses coassociés et pour lui-même. Le contrôle sur les directeurs n’est pas suffisamment exercé par les conseils de surveillance, et l’expérience a montré que les assemblées générales sont peu propres à suppléer à cette insuffisance : elles ne recourent guère à des mesures énergiques qu’après que le mal est irréparable. Mais le plus grand danger de la société par actions, c’est qu’elle figure sur la cote de la bourse et devient ainsi un objet de pure spéculation dans ces momens de crise où le public cherche uniquement le bénéfice que donne le jeu, non plus le dividende durable que procurent la bonne gestion et la bonne qualité d’une affaire. Votée en 1867, la loi sur les sociétés par actions n’eût pas produit en Allemagne tant d’effets malheureux, car la crainte continuelle d’une guerre avec la France aurait entretenu dans les esprits la circonspection nécessaire ; mais quatre mois ne s’étaient pas écoulés depuis sa mise en vigueur qu’on pouvait escompter déjà l’heureuse issue de la guerre : la spéculation s’emparait de l’instrument tout nouveau qui lui était offert.

Naturellement on ne commença point par des excès ; les premières sociétés établies ont rendu et rendent aujourd’hui encore des services que l’on oublie trop en faisant l’histoire de la crise économique allemande. Ce n’est qu’en 1872 que se multiplient les fondations aventureuses et malhonnêtes. D’innombrables banques leur viennent en aide. Avant 1870, quarante-huit banques représentant un capital de 847 millions de marcs (plus d’un milliard de francs), figuraient à la cote de la bourse berlinoise ; de 1871 à 1873, quatre-vingt-quinze banques nouvelles, représentant un capital versé de 150 millions de marcs, y font leur apparition. Dans le même temps, la circulation des billets non couverts par l’encaisse métallique