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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/429

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un parlement bien des choses qui seraient impossibles à un pouvoir absolu. Une expérience de treize années m’a convaincu qu’un ministère honnête et énergique, qui n’a rien à redouter des révélations de la tribune et qui n’est pas d’humeur à se laisser intimider par la violence des partis extrêmes, a tout à gagner aux luttes parlementaires. Je ne me suis jamais senti si faible que lorsque les chambres étaient fermées. D’ailleurs je ne pourrais trahir mon origine, renier les principes de toute ma vie. Je suis fils de la liberté, c’est à elle que je dois tout ce que je suis. S’il fallait mettre un voile sur sa statue, ce ne serait pas à moi de le faire. Si l’on parvenait à persuader aux Italiens qu’il leur faut un dictateur, ils choisiraient Garibaldi et pas moi, et ils auraient raison ! La route parlementaire est plus longue, mais elle est plus sûre… »

L’idée que Cavour portait dans les affaires était celle d’un grand libéral, du plus grand des libéraux, sachant assurément imaginer des expédiens s’il en avait besoin, mais mettant au-dessus de tout cette politique qui a été le secret de sa force, qu’il a pratiquée jusqu’au bout avec une sorte d’audace. Ce qu’il disait à Mme de Circourt sous la forme d’une confidence pleine d’abandon, il le répétait au même instant d’une manière plus énergique encore, plus raisonnée, en serrant de plus près cette situation où il se trouvait engagé, en précisant la nature, les conditions de ce mouvement italien qu’il avait à conduire. C’est à Salvagnoli de Florence qu’il écrivait : «... Vous vous rappelez combien les journaux anglais ont blâmé les Italiens d’avoir suspendu les garanties constitutionnelles pendant la dernière guerre. Renouveler cette mesure aujourd’hui, dans un moment de paix apparente, aurait les plus funestes effets sur l’opinion publique en Angleterre et sur tous les libéraux du continent. A l’intérieur, cela ne remettrait pas la concorde dans le parti national. Le meilleur moyen de montrer combien le pays est loin de partager les idées de Mazzini et les rancunes de quelques autres est de laisser au parlement toute liberté de censure et de contrôle. Le vote favorable qui sera accordé par la grande majorité des députés donnera au ministère une autorité de beaucoup supérieure à toute dictature. Votre conseil ne ferait que réaliser l’idée de Garibaldi, qui tend à obtenir une grande dictature révolutionnaire à exercer au nom du roi, sans contrôle de la presse libre, sans garanties individuelles et parlementaires. Je suis convaincu au contraire que ce ne sera pas le moindre titre de gloire pour l’Italie d’avoir su se constituer en nation sans sacrifier la liberté à l’indépendance, sans passer par les mains dictatoriales d’un Cromwell, mais en se dégageant de l’absolutisme monarchique sans tomber dans le despotisme révolutionnaire. Aujourd’hui il n’y a d’autre moyen d’atteindre