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parlement, et Garibaldi lui-même, il faut le dire, ne prenait nullement l’air d’un révolté. Il ne disputait plus sur l’annexion immédiate qu’un vote consacrait; il s’empressait d’aller à la rencontre du roi qui entrait avec lui à Naples, et si, en s’embarquant tout à coup presque obscurément pour retourner à Caprera, il gardait une secrète blessure, s’il n’oubliait pas, s’il se réservait de reparaître, il montrait du moins dans sa retraite du moment autant de désintéressement que de simplicité. Le reste, — la dernière résistance de François II à Gaëte, les embarras du lendemain d’une révolution, — n’est plus que l’épilogue du drame. La question napolitaine était tranchée, l’intervention piémontaise avait atteint son but.


III.

Le jour où des élections nouvelles venaient de nommer le parlement de toutes les provinces et où ce parlement se réunissait à Turin pour consacrer l’existence d’un royaume d’Italie, une scène curieuse se passait sur la place du Château. Le vieux Manzoni, malgré son âge et sa santé affaiblie, avait tenu à faire le voyage de Milan à Turin pour assister à ce qu’il appelait le couronnement de l’Italie. Une foule passionnée entourait le palais Madame où délibérait le parlement, lorsque tout à coup Manzoni sortait appuyé sur le bras de Cavour. Aussitôt les applaudissemens éclataient, et le ministre souriant se tournait vers le poète en lui disant : « Voilà pour vous! » Le vieux poète retirait vivement son bras et se mettait lui-même à battre des mains en montrant Cavour. La foule redoublait d’acclamations enthousiastes, et Manzoni tout fier s’écriait : « Eh bien, monsieur le comte, voyez-vous maintenant pour qui sont ces applaudissemens? » Ministre et poète auraient pu se rappeler en ce moment cette première rencontre où ils s’étaient vus vingt ans auparavant chez Rosmini, à la villa Bolongaro, et où Cavour disait en se frottant les mains : « Nous ferons quelque chose ! » Il n’avait point effectivement perdu son temps dans ces vingt années, puisque dans le palais Madame se trouvaient réunis des représentants de Naples et de Turin, de Milan et de Palerme, de Brescia et de Florence, de Bologne et de Gênes ; « quelque chose » avait été fait, et ce « quelque chose » se révélait dans cette explosion de popularité qui accueillait un homme.

Tout n’était pas cependant fini, même par ces prodigieuses annexions qui venaient de s’accomplir. Cavour n’avait pas seulement à poursuivre la pacification laborieuse des provinces méridionales et à maintenir une situation toujours difficile, toujours périlleuse devant l’Europe, il avait à fixer sa politique sous les yeux mêmes de