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susceptible d’être pratiqué en grand. De la chaudière de cuite, le moût est conduit dans une cuve couverte où on le refroidit à l’abri des poussières de l’air, avec lequel il ne communique que par un tube tombant où ces poussières ne peuvent pénétrer. Pour la mise en levain, on se sert d’une levure cultivée à l’état de pureté ; aussi peut-on se contenter d’une dose de levure beaucoup plus faible que celle qui est employée par les brasseurs, qui sont obligés d’en introduire dans le moût une si forte proportion, parce qu’il faut l’entraîner dans la fermentation alcoolique sans laisser aux fermens parasites le temps de se multiplier. On sait en effet qu’une culture assez abondante pour envahir promptement un champ préparé à la recevoir, prend vite le dessus et étouffe les mauvaises herbes.

M. Pasteur indique les diverses manipulations qui permettraient de fabriquer la bière dans des conditions de pureté complète, à l’abri de tous les fermens nuisibles ; mais, comme il est rare qu’une industrie adopte d’emblée des pratiques nouvelles qui l’obligent à changer son outillage, on pourrait se contenter d’appliquer le nouveau procédé à la fabrication du levain et du moût, peut-être même du levain seulement. Le plus simple serait de mettre en levain les grandes cuves de l’entonnerie avec de la bière en fermentation pure, préparée à cet effet dans des cuves fermées. Les essais qui ont été faits du nouveau procédé, tant au laboratoire de l’École normale que dans la grande brasserie des frères Tourtel, à Tantonville, près Nancy, ont montré que les bières qu’il fournit (même appliqué à la mise en levain seulement) possèdent, avec une bien plus grande durée de conservation, une qualité égale et une force supérieure à celle des bières actuelles provenant des mêmes moûts. On a constaté aussi qu’en diminuant l’aération du moût, on donne à la bière plus de cette qualité que les brasseurs appellent bouche, qu’elle conserve davantage l’arôme du houblon, et que la fermentation secondaire est beaucoup plus lente, ce qui est une bonne condition pour une bière qui doit subir de longs transports.

Il faudra sans doute du temps pour faire pénétrer ces idées dans la pratique industrielle, à travers les discussions théoriques qu’elles soulèvent encore, mais elles feront leur chemin, comme l’ont fait les admirables travaux de M. Pasteur sur le vin, sur le vinaigre, sur les vers à soie. Peu d’hommes auront contribué comme lui à transformer les conditions de grandes et florissantes industries, en les faisant sortir des ornières de la routine pour leur imprimer une marche sûre, guidée par des principes simples et clairs.


R. Radau.