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changement qui s’est répandu tout à coup dans le pays ? Est-ce un besoin d’hommes nouveaux, de choses nouvelles ? Est-ce le signe d’impatiences révolutionnaires ou d’un vague désir d’améliorations mal définies ? Il y a du moins une raison sensible, l’éternelle et invariable raison de la défaite des plus grands partis, l’esprit de scission et de division. Les libéraux modérés sont tombés parce qu’ils n’ont pas su rester unis. Ils se sont divisés dans le pouvoir et dans la paix, ils l’expient aujourd’hui d’une manière imprévue par une défaite qui dépasse à coup sûr les espérances et les calculs de leurs adversaires victorieux. Le ministère, bien que comptant sur une majorité, a probablement été le premier surpris de tels succès, et un vieux Piémontais comme M. Depretis ne laissera peut-être pas un jour ou l’autre d’être embarrassé avec une chambre où entre à rangs pressés toute une gauche du midi, où il y a même des républicains qui peuvent avoir une certaine action. Les prodigieuses victoires de scrutin ne sont pas toujours sans danger pour ceux qui les gagnent. Le ministère court le risque d’avoir provoqué des ardeurs, des impatiences et des désirs qu’il ne pourra satisfaire. Qu’il se croie obligé de proposer des réformes économiques, financières ou même politiques, c’est presqu’une nécessité de son existence, et dans une certaine mesure ce sera une œuvre utile ; mais, s’il se mettait à tout remuer, à tout agiter, s’il voulait particulièrement dévier de la ligne de libérale et vigilante prudence suivie par les ministères qui l’ont précédé dans les affaires religieuses, il ne tarderait pas à être en péril avec toute sa majorité ; il rendrait une force nouvelle et des armes à une opposition, peu nombreuse il est vrai, mais puissante par les talens, par l’expérience, par les traditions libérales qu’elle représente.

C’est là ce qu’il y a de critique dans cette situation caractéristique créée par les élections dernières. Si le ministère se voit obligé de résister aux partis ardens, remuans qui entrent dans la chambre sous son pavillon, il est exposé, lui aussi, à voir bientôt se dissoudre sa majorité, et il est rejeté vers une poUtique qui ne peut être sensiblement différente de celle des modérés ; s’il se laisse entraîner et déborder par les méridionaux qui forment aujourd’hui une phalange compacte dans la gauche, s’il veut aller en avant, il peut provoquer des crises fatales pour l’Italie, propres à raviver des antagonismes non-seulement d’opinions, mais de régions, qui deviendraient une cause d’agitations redoutables. M. Depretis et ses collègues sont des serviteurs de la monarchie constitutionnelle, des hommes assez prudens pour ne pas laisser grandir un danger, que l’action modératrice de la royauté suffirait certainement à maîtriser, mais qui ne serait pas moins une cause d’affaiblissement momentané pour l’Italie. De toute façon, c’est une expérience qui s’engage d’une manière un peu brusque, assez imprévue, et qui a sûrement contre elle de n’être pas le résultat d’un mouvement d’opinion bien profond. Le ministère italien a besoin de diriger la manœuvre pour tout le monde.