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L’Italie est assurément au-dessus d’une crise d’élections aujourd’hui. Elle a connu, elle a vu tous les contrastes de la fortune, et aujourd’hui encore, au moment où ce parlement nouveau va se réunir dans un palais de Rome, à quelques pas de là, sous les voûtes du Vatican, vient de s’éteindre un homme dont la destinée a été de la combattre et d’assister à sa dernière victoire, — le cardinal Antonelli. C’est un des acteurs du drame d’où est sortie l’Italie nouvelle qui s’en va de la scène du monde. Né d’une humble famille de Sonnino, élevé rapidement aux plus hautes dignités de l’église, promu cardinal jeune encore et simple diacre, ministre de Pie IX après l’exaltation de 1846, au temps de l’amnistie et des réformes, secrétaire d’état après les malheurs de 1848, Antonelli a été depuis près de trente ans le conseiller le plus intime du pape, le représentant le plus actif, le plus en vue de la politique romaine. A côté du vieux pontife qui a vécu assez pour voir toutes les révolutions, pour assister à la chute du pouvoir temporel, qu’il semblait couvrir de sa popularité à l’aurore de son règne, Antonelli reste un des grands personnages contemporains.

Ce serait une illusion de déplacer les rôles, de faire du cardinal l’inspirateur des résolutions du pontife. Tout ce qui s’est fait, c’est Pie IX qui l’a voulu et décidé ; c’est le pape qui a fait les affaires de la papauté depuis trente ans, dans ce règne qui dépasse par sa durée et par les événemens dont il est rempli tous les règnes des papes. Antonelli, dans sa charge de secrétaire d’état, n’a été que l’interprète, influent sans doute, souvent écouté. Ce rôle, il l’a rempli jusqu’au bout avec un mélange de vigueur et de souplesse qui avait fait de lui un diplomate consommé. Il y joignait un certain goût d’élégance mondaine qui lui donnait l’air d’un vieil abbé romain. Le cardinal Antonelli a passé sa vie à défendre la papauté temporelle comme politique, comme diplomate, c’était son rôle et son devoir ; il ne l’a peut-être pas toujours servie avec une prévoyance supérieure. Il y a eu des momens où il n’a pas su voir clair dans les situations, et il y a eu aussi des momens où, par une sorte de [fatalisme, il a fait appel à l’excès des catastrophes pour sauver la cause du pouvoir temporel. « Pour notre compte, disait-il un jour, puisque le triomphe de la révolution est prochain et inévitable, nous devons l’enflammer encore plus, afin que l’incendie devienne assez vaste pour atteindre l’Autriche dans la Vénétie. L’Allemagne alors se réveillera… » Il rêvait une coalition européenne contre l’Italie et contre la France ! Le cardinal Antonelli aurait pu mieux défendre le pape. Condamné à une retraite désespérée, il est mort en serviteur fidèle, mais désormais inutile, du pontife dont il n’a pas pu sauver la royauté terrestre !

ch. de mazade.