foi en 1870, lors de la révision du traité de Paris, en ne cherchant pas à reprendre la bande de terre de Bessarabie enlevée en 1855 à la Russie. Tant que la paix n’est point troublée, rien n’autorise à soupçonner au cabinet de Pétersbourg des vues cachées ; mais le jour où les hostilités seraient ouvertes, le jour où les troupes russes camperaient sur le Danube ou sur les Balkans, qui peut garantir les résolutions de la Russie, qui peut affirmer que le gouvernement du tsar restera toujours maître de sa politique ? Une fois lancé sur la pente de la guerre, aucun gouvernement n’est sûr du point où il s’arrêtera, aucun n’est certain de ne pas dépasser ses propres intentions. Rien n’est entraînant comme la guerre, domine la victoire surtout ; il y a dans les succès militaires, pour les peuples comme pour les individus, quelque chose d’exaltant, d’enivrant, qui les emporte souvent au-delà de leurs desseins prémédités. Le général répugne à laisser abandonner par ses troupes tout le terrain conquis, le politique réclame des avantages en rapport avec les sacrifices consentis et les risques courus. Comment la Russie persuadera-t-elle au monde qu’elle saura toujours se maintenir au-dessus de telles tentations ? Et si l’Europe n’en est point convaincue, les puissances les plus intéressées à l’équilibre oriental peuvent, malgré leur peu de sympathie pour les Turcs, malgré leur désir de coopérer au bien des chrétiens, se voir entraînées à la guerre contre la Russie, ou obligées de garder une neutralité défiante dont pourrait toujours sortir la guerre.
Si l’on regarde de sang-froid la crise orientale, on a peine à croire qu’elle puisse aboutir à un conflit armé, tant Russes et Turcs, chrétiens et musulmans semblent avoir d’intérêt à l’éviter. Pour la Porte-Ottomane, une guerre heureuse ou malheureuse n’offre que des périls ; sa situation est telle, que succès ou revers militaires l’amènent presqu’au même point. La preuve en est sa dernière campagne de Serbie : victorieux des Serbes, le divan s’entend réclamer au nom de ses provinces chrétiennes plus qu’on ne lui demandait pour elles avant l’ouverture des hostilités. À ce que lui coûte une victoire, la Turquie peut mesurer ce que lui pourrait coûter une défaite. Pour elle, la sagesse est de céder, d’éviter à tout prix une lutte qui l’atteindrait en Asie aussi bien qu’en Europe, et où l’intervention même des gouvernemens les mieux disposés pour elle, de l’Autriche ou de l’Angleterre, peut précipiter un démembrement. La sagesse est de ne pas trop se fier aux rivalités des puissances, de ne pas trop compter sur un retour d’intérêt de l’Angleterre, et d’accorder aux provinces chrétiennes une autonomie qui seule peut leur rendre supportable la domination ou la suzeraineté ottomane, et seule les enlever aux suggestions du