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certaine solennité, va attirer dans les églises toute la population catholique. Voici en effet le long des rues, plus silencieuses que jamais, une porte qui s’ouvre discrètement pour donner passage à des femmes vêtues de noir de la tête aux pieds, le visage entièrement couvert par une mante de soie noire qui leur tombe jusqu’à la ceinture et ne laissant voir de toute leur personne qu’une main bien gantée et un pied mignon et finement chaussé. Ce sont les dames macaïstes, dont la laideur est proverbiale, et chez qui cette exagération de pudeur passe pour n’être qu’une savante coquetterie. A en juger en effet par quelques coups d’œil furtifs jetés sous un capuchon rebelle, il faut avouer qu’elles font aussi sagement de se cacher, que leurs voisines portugaises de montrer sous la légère mantille classique leurs jolies têtes blondes ou brunes. L’autel est inondé de fleurs et de lumières ; le gouverneur don José Maria Lobo d’Avila et sa famille sont à leur banc, la garnison porte « armes, » présente « armes » au commandement, la foule prosternée ou accroupie sur les dalles dépourvues de sièges s’incline aux paroles des prêtres ; l’étranger se croit déjà rapatrié en retrouvant dans toute leur pompe les cérémonies d’un culte universel.

On ne saurait mieux employer l’après-midi d’un dimanche à Macao qu’en allant visiter la fameuse grotte de Camoëns. C’est ici en effet que le grand poète, expulsé du Portugal à la suite d’une intrigue de cour, interné d’abord à Goa, vint en 1556 chercher un refuge contre ses ennemis et unit ses jours à l’âge de cinquante-cinq ans en 1579. Au milieu d’un jardin planté depuis lors, au flanc d’un amas de rochers d’où l’on découvre une vaste étendue de mer, on montre une excavation creusée dans le roc ; c’est là qu’il venait, dit-on, composer ses immortelles Lusiades. Ce grand souvenir donnerait à ces lieux un mélancolique attrait, sans le mauvais goût du propriétaire, qui, après avoir fait blanchir les parois de la grotte, y a placé un buste de Camoëns, des inscriptions poétiques, tout un appareil banal. Quant aux platitudes en toutes langues qu’on lit sur les parois des environs, il erait fastidieux d’en faire l’inventaire. Il est triste de voir avec quelle complaisance la sottise aime à s’étaler à l’ombre du génie et marie des noms obscurs aux noms des grands hommes, En redescendant des jardins de Camoëns, on me montre les ruines laissées par le typhon ; on a peine à comprendre que la seule force du vent ait détruit des constructions qui semblaient abritées et solides, tandis que des pans de muraille délabrés résistaient à quelques centaines de pas. Dans une plaine qui s’étend au pied des forts, on avait exposé avant de les enterrer les cadavres rejetés par la mer au milieu des débris de barques, de toitures emportées par le cyclone ; mon guide, qui présidait à la